Territoires ruraux et jeunesse : agitons la culture !

Les territoires ruraux représentent des terreaux d’expérimentation où des multitudes d’initiatives se déploient. Renforcer les capacités de ces territoires, c’est parier sur leurs forces vives et en particulier sur l’enjeu culturel et sur les jeunes adultes, citoyens d’aujourd’hui et demain ! La mobilité, l’accès aux services publics, les parcours professionnels, les représentations de la ruralité, les projections de vie sont autant de sujets à questionner. Ils peuvent être des freins à l’installation des jeunes sur ces territoires.

De nombreuses initiatives artistiques, culturelles, associatives en France et en Europe encore trop discrètes ont des démarches diverses qui permettent de repenser comment on habite un territoire, les relations entre personnes, l’accompagnement des initiatives de jeunes adultes, dans une logique de coopération, de réseau, de formes de solidarité et de mutualisation.

Intervenant·es
  • Laure Hubert-Rodier, Chargée du projet AJITeR à l’UFISC (Union Fédérale d’Intervention des Structures Culturelles)
  • Sébastien Cornu, Consultant culture et économie solidaire et administrateur bénévole de la Gare de Coustellet
  • Gérard Peltre, Président de l’Association internationale Ruralité – Environnement – Développement (R.E.D)
  • Alban Cogrel, Administrateur général de la FAMDT (Fédération des acteurs et Actrices des Musiques et Danses Traditionnelles)
  • Lelde Uzkure, The tree of light workshop, Association Ūdenszīmes (Lettonie)
  • Patricia Andriot, Vice-Présidente du RTES (Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire)

Le projet européen AJITeR 2018-2021 : AJITeR par la culture !

AJITeR est un projet européen qui a été sélectionné dans le cadre de l’appel à projet 2018 « Mobilisation collective pour le développement rural » (MCDR) lancé par le Réseau rural national (RRN) . Financé par le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) avec un budget d’environ 1 000 000 € sur trois ans, ce projet est porté par un collectif de 5 partenaires – l’ADRETS, la CIPRA, le CREFAD Auvergne, le RECCA et l’UFISC.

L’objectif global du projet AJITeR est de proposer un programme de capitalisation et de diffusion des bonnes pratiques autour de la thématique de l’accueil et de l’installation des jeunes adultes dans les territoires ruraux. De nombreux territoires ruraux sont confrontés au défi de faciliter l’installation durable de ces jeunes adultes qui construisent leur parcours de vie entre 17 et 35 ans. Ces territoires doivent pouvoir appuyer leur action sur une compréhension plus fine des attentes et des pratiques en matière d’emploi, d’amélioration de la qualité de vie, d’accès aux services et d’approfondissement de la participation citoyenne.

Au sein d’AJITeR, l’UFISC et ses membres portent plus spécifiquement le volet « AJITeR dans la culture ». Cette démarche s’inscrit dans une dynamique initiée depuis une dizaine d’années autour de la thématique « culture, proximité et ruralité », notamment par la FEDELIMA, et d’un groupe de travail ouvert à tous les adhérents. Le volet « AJITeR dans la culture » traite de l’importance de la culture dans l’accueil et l’installation des jeunes adultes dans les territoires ruraux. En pleine mutation, les territoires ruraux doivent répondre à de nouveaux défis culturels et sociaux. Culturellement, il s’agit de dépasser les seules notions de « récréatif » ou de « touristique » pour se réinventer en termes de pratiques sociales et d’évolution des usages et pour progresser vers un développement durable et solidaire des territoires. Dans ce cadre, une meilleure prise en compte de la participation des jeunes adultes dans ces territoires est un défi essentiel. La dimension culturelle constitue alors un enjeu fondamental : elle porte sur la reconnaissance des identités et de la capacité des personnes à prendre en compte les ressources des territoires dans une logique décloisonnée, dans de nouvelles solidarités et des processus de démocratie plurielle. La participation des personnes, et en particulier des jeunes adultes du territoire, à la construction citoyenne est garante d’une capacité de réinventer un vivre-ensemble partagé et une équité territoriale et sociale, de renouveler les solidarités, d’organiser les communs.

L’objectif final du projet est d’élaborer des outils de formation et d’accompagnement pour le développement des pratiques, notamment artistiques et culturelles, pour faciliter l’accueil et le maintien des jeunes adultes en milieu rural.

Repenser les politiques publiques rurales par la déconstruction des imaginaires collectifs

« L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine » Simone Weil, L’Enracinement (1943)

Co-piloté par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (MAA), le Commissariat général à l’Égalité des Territoires (CGET) et les Régions de France, le RRF est à la fois un réseau et un programme. L’Union européenne (UE) lui a confié des fonds du développement agricole et rural, dont l’essentiel sont confiés aux régions et à l’État. L’UE a souhaité qu’un programme national soit maintenu pour organiser une visibilité des initiatives en milieu rural et des échanges entre acteurs sur la base d’un réseau. Le RRF finance ainsi des projets nationaux qui visent à capitaliser et à faire un état des lieux sur une problématique relative à la ruralité. Dans ce contexte et autour de la thématique ruralité, jeunesse et culture, le projet de l’UFISC se propose de faire l’état des lieux et met en avant le besoin de faire écosystème.

La question de la jeunesse et de la ruralité est souvent traitée de manière paradoxale. Les élu·es ont tendance à se demander ce qu’ils peuvent faire pour maintenir les jeunes sur le territoire. Or, il est plutôt normal de vouloir voir autre chose à un moment de notre vie : partir pour mieux revenir. La question de l’enracinement, qui se joue à l’enfance, va faire que les jeunes vont revenir ou pas. La mondialisation et l’ultra-libéralisme se sont traduits par des injonctions à la mobilité et à l’adaptation qui nient complètement le besoin d’enracinement de l’individu et la question de l’identité. Cela crée un malaise et des situations difficiles à gérer en termes de politiques publiques. De plus, la ruralité est souvent associée au « bon vieux temps » dans l’imaginaire collectif. L’enjeu est de dépasser les logiques de charité dans lesquelles peuvent se maintenir les politiques publiques et de penser à des modernités de la ruralité. Il y a une vraie vitalité de la ruralité qui aurait beaucoup à gagner à suivre les transitions de société (numérique, écologique, alimentaire, etc.). Plutôt que réfléchir à comment faire pour ne pas oublier les territoires ruraux, il faudrait discuter de leur place et rôle dans le projet de société.

Pour Patricia Andriot, vice-présidente du RTES, il est possible de faire face à ces défis par le décloisonnement des problématiques et une approche par écosystème. La culture est essentielle pour l’enracinement et l’art pour avancer vers la modernité. Le gommage de la dichotomie rural/urbain, mise en avant dans les représentations, doit être porté par les pouvoirs publics. En effet, cette dichotomie est de plus en plus remise en cause par le travail des géographes, d’autant plus qu’il y a des structures en milieu urbain qui ont des actions en milieu rural, sur un territoire vaste ou inversement. Ne vaudrait-il pas mieux penser en systèmes territoriaux ? L’ancêtre du CGET a mené un travail prospectif qui reprenait 7 systèmes territoriaux, en essayant de penser la manière dont se construisent aujourd’hui les modes de vie, d’habiter et de mobilité. Ces réflexions construisent des logiques de politiques d’aménagement des territoires pour demain. Enfin, il est nécessaire de s’ouvrir à la question européenne pour prendre conscience de la singularité et de l’universalité des projets menés.

Deux exemples européens de projets à destination des jeunes adultes en territoire rural

Dans le village de Kaldabruna, il n’y a ni magasin, ni poste et ni école. Le seul endroit où les personnes peuvent sociabiliser est l’ancienne école réinvestie en lieu de vie par l’association Ūdenszīmes. « Tree of Light » est un projet d’entreprise sociale dont le but est de créer et développer des opportunités de travail pour les habitants du territoire, de tous âges et de tous milieux à partir d’un atelier de créations artistiques. Il s’agit de soutenir l’entreprenariat local en zone rurale reculée. L’association a bénéficié de fonds européens pour mener ce projet, ce qui a permis de financer les travaux de construction de l’atelier et l’achat d’outils modernes.

L’enjeu du projet est de faire rester les jeunes, qui souhaitent quitter le village pour trouver un travail à la ville, en formant les participants aux techniques d’artisanat. Au-delà de la formation et de l’emploi, la valorisation des talents, la sociabilisation et l’expression de soi favorisent l’émancipation individuelle et collective. Le projet letton témoigne de l’envie et de la capacité de s’inscrire sur ce territoire, d’intégrer l’ensemble des personnes avec leur projet de vie, en prenant en compte un ensemble de richesses qui vont permettre de créer du développement durable, solidaire, dans une logique de soutenabilité. En alliant la dimension touristique, les savoir-faire et compétences locales, ce projet vient bousculer un ensemble de procédés de construction et porte une réflexion sur ce qu’est habiter sur un territoire rural.

Depuis 1996, l’association AVEC (Animation Vauclusienne Educative et Culturelle) centre son projet autour d’un territoire rural, de sa population et des interactions qui en découlent et revendique sa volonté de s’engager pleinement sur son territoire grâce à La Gare de Coustellet, équipement sur lequel elle s’est développée et continue de proposer un projet riche et complémentaire. Structure d’éducation populaire pour la jeunesse en milieu rural, la Gare est aujourd’hui confrontée à certains freins. D’abord, on observe une baisse des enveloppes pour l’initiative jeunesse liée au rôle palliatif auquel les structures culturelles et d’éducation populaire sont renvoyées. En outre, des problèmes de mobilité, de formation et de logement percutent ce type de projets. L’accessibilité géographique des structures culturelles rurales est généralement limitée. Interdépendant du dynamisme de l’emploi local, le public touché tend par ailleurs à diminuer. Enfin, la transversalité des politiques publiques locales en direction de la jeunesse est rarement le mot d’ordre alors qu’elle est essentielle. Sébastien Cornu préconise la coconstruction de ces actions et la construction d’un système local portant attention à l’accueil des nouveaux arrivants, à l’installation des jeunes et de leurs initiatives et au maintien des habitants et nouvelles générations. Partir des pratiques et des intérêts des jeunes pour construire les projets semble également nécessaire. Par exemple, les jeux vidéo peuvent faire l’objet de débats intéressants et d’une transmission intergénérationnelle de savoirs. Le partage de la culture n’est pas descendant mais bilatéral.

Ressources

► Découvrir toutes les ressources du volet culturel du projet AJITeR par la Culture (le plaidoyer Cultures, Jeunesses et Ruralités, Récits d’initatives, Paroles et parcours d’élu∙e∙s autour des thématiques cultures, jeunesses et ruralités, Culture(s) et Ruralité(s) : Notions clés et accompagnement des initiatives en territoires ruraux), ainsi que le livret final du projet, sur le site Culture et Ruralité proposé par l’UFISC.

Présentation du projet AJITeRDiaporama présenté lors de l’atelier
Présentation « Tree of Light – workshop »Diaporama présenté lors de l’atelier
Présentation « ŪDENSZĪMES »Diaporama présenté lors de l’atelier

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L’édition 2019, accueillie au 106 à Rouen, était placée sous la thématique des droits fondamentaux comme nouvelle ZAD à défendre et à investir.

Initialement impulsé par la FEDELIMA, POP MIND est porté depuis cette édition 2019 par l’UFISC et ses membres.

Pour cette 4ème édition, POP MIND était coorganisé avec le Collectif des Associations Citoyennes (CAC) et l’association Opale, et co-construit avec une grande diversité de partenaires, ainsi que de nombreux partenaires dans le champ de la culture et au delà, parmi lesquels on peut citer : le Mouvement pour l’Economie Solidaire (MES), Biens Communs, le CRID, l’Alliance internationale des éditeurs indépendants (AIEI), le réseau Rman, le RIPESS Europe, la PFI… et bien d’autres !