Les droits culturels mettent en travail la question de la diversité, la prise en compte du dialogue entre ce qui fait commun et ce qui nous distingue, nous singularise. La culture, considérée tant comme levier d’émancipation que comme vecteur de rencontre et d’échange, est propice à ouvrir des espaces d’expression et de partage et permettre une plus grande inclusion des personnes, de toutes les personnes. Qu’en est-il dans la réalité des projets et de nos démarches ? Comment réfléchir à la mise en place de ces espaces et de ces pratiques ? A travers des exemples de démarches et de travail sur les territoires, nous avons cherché à explorer les questions qui se posent, les difficultés, les leviers, les méthodologies mais aussi comment ces processus permettent de créer des ponts et de nourrir les pratiques et la création.
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Les témoignages des intervenant·es
Capucine Carrelet, Coordinatrice des projets culturels et artistiques à la MJC de Martigues
La MJC de Martigues travaille depuis quelques années à la mise en place d’actions à destination des personnes sourdes. La MJC n’est pas une structure de diffusion culturelle, ses actions partent des adhérent·es. Une adhérente était au début de sa formation en langue des signes : s’est alors organisée une soirée d’initiation à la langue des signes. Une centaine de personnes sont venues dont plus de la moitié de personnes sourdes. Cela a mené à la constitution d’un groupe de personnes intéressées pour faire évoluer la MJC et donner un avis sensible. La MJC essaie désormais d’adapter ce qu’elle fait notamment par l’organisation de cafés signe et la formation des membres de l’équipe. Cette dynamique s’est faite après un choc partagé et la prise de conscience que la MJC pouvait être excluante. Après un travail sur l’accessibilité un retour à l’artistique se fait par la découverte d’un art et d’une culture sourde. La MJC travaille à faire une bascule de la culture sourde à une culture qui va venir nous bousculer, nous interroger. Le choix des espaces mis en place peuvent permettre de se sentir partie prenante ou au contraire en dehors.
Capucine Carrelet souligne la nécessité de s’éduquer sur l’attention aux autres. C’est une démarche de progrès : il est important de comprendre nos oublis, nos œillères. Les droits culturels permettent de remettre en question les postures que nous adoptons, la place que l’on occupe et qu’il faut souvent accepter de laisser – tout comme ils interrogent la notion de performance.
Jean-Pierre Chrétien-Goni, Metteur en scène, Auteur et Directeur du Le Vent Se Lève !
Jean-Pierre Chrétien-Goni, qui a une formation d’anthropologue, s’est intéressé à ces enjeux après avoir exploré la question de l’anéantissement humain dans les camps d’extermination. Il s’est ensuite dirigé vers le théâtre, et a été invité à travailler avec des détenus à Fleury-Morangis, ce qui a été un choc pour lui raconte-t-il. Il y a rencontré des récits singuliers et a découvert comment le travail artistique permettait d’entrer dans ce monde clôt qu’il pensait percevoir/appréhender, mais ne connaissait pas. Son travail depuis trente ans a ainsi fait émerger de nouvelles questions. Ce qui l’a marqué est la problématique de la visibilité : « j’ai le sentiment qu’il y a dans le monde trop de gens invisibles. Invisibles à eux-mêmes, invisibles aux autres. Chacun a ses invisibilités, certaines plus compliquées que d’autres : comment on se met à les envisager ? à considérer ? Comment on se donne figure et pas on se défigure ? Comment est-ce qu’on essaye de pousser quelque chose de nos humanités, ce qui nous constitue comme des humains à la fois absolument tous différents et semblables ? Comment est-ce qu’on travaille cette contradiction constante dont certains souffrent énormément ? Le travail s’est fait surtout là : se dire quels sont les endroits où je peux tenter de contribuer pour rendre visible les personnes ? L’émancipation des personnes c’est qu’elles se rendent visibles elles-mêmes. »
L’horizon des droits culturels lui a récemment donné des leviers pour penser les pratiques dans lequel il s’inscrit autour de la notion de dignité qui va avec la visibilité : « qu’est-ce que c’est qu’une vie digne ? Ce qui est digne pour quelqu’un peut ne l’être pour d’autre. On ne peut pas savoir à la place de l’autre, la seule chose que je peux essayer c’est d’aider les personnes à rendre visible les choses qui les conditionnent, qui sont autour d’elles. Elles en feront ce qu’elles voudront, mais elles ont aussi le droit d’être contente de leur sort. Je suis d’une génération qui a voulu faire la révolution pour les autres mais ça n’a pas marché. Il faut le faire autrement ; le mot principal c’est le « avec » ».
L’intérêt de questionner la visibilité est de se rendre compte de sa position, d’où on parle, du fait que l’on ne sait pas à la place des autres et de poser la question de la domination dans les espaces dans lesquels on travaille. La vulnérabilité est également une question importante. C’est une prise de conscience éthique et politique à avoir ; comment on gère nos propres vulnérabilités, comment on les aperçoit, comment on rencontre celles des autres ? Cela se développe par le pas de côté, par l’imaginaire, tout en faisant attention à ne pas mobiliser des histoires de vie sans précaution.
Jean-Pierre Chrétien-Goni porte une grande attention à se demander à qui s’adresse le travail artistique qu’il va faire. Par exemple, dans un centre médico-social, un EHPAD ou une prison, c’est l’ensemble des parties prenantes de l’établissement qui est concerné par l’action menée. Il faut alors chercher à créer un espace de confiance et à organiser les conditions de participation pour que tout le monde, y compris des membres du personnel, puissent réfléchir à leurs vulnérabilités, leurs sensibilités. Cela pose alors des questions institutionnelles : est-ce que la direction donne du temps aux salarié·es pour venir se confronter à ces activités ?
Nathalie Nivelle, administratrice du Théâtre du Cristal – Pôle Art et Handicap
Le Théâtre du Cristal a été créé en 1989 par Olivier Couder qui, après une formation de psychologue, a été amené à travailler dans des établissements sociaux et médico-sociaux. Sa volonté était de monter une troupe mixte et des créations mixtes, où le regard du public ne distingue plus qui est handicapé et qui n’est pas handicapé.
Nathalie Nigelle souligne cette question de l’accueil des personnes qui viennent voir les spectacles dans la plupart des lieux : « quand on fait un spectacle, on se pose toujours la question de qui va venir le voir. Est-ce qu’on fait un spectacle avec et par des personnes en situation de handicap pour qu’elles soient vues par des personnes en situation de handicap ? Est-ce que c’est du jeune public ? Nos spectacles sont volontairement tout public, avec des plateaux mixtes. Beaucoup de lieux culturels veulent programmer des spectacles autour de la thématique du handicap mais le font avec des comédiens « ordinaires » sur scène . Allons plus loin et permettons à des comédiens en situation de handicap de prendre cette place ! »
La troupe a un partenariat avec un ESAT (Établissement et service d’accompagnement par le travail) qui permet un accompagnement et constitue la garantie d’une inclusion volontaire. Le Théâtre du Cristal a monté pendant le confinement une agence artistique pour, par et avec les personnes en situation de handicap. D’une part pour repérer des personnes en situation de handicap qui ont envie d’aller travailler dans le cinéma ou dans le théâtre mais qu’on ne peut pas inclure à la troupe, et d’autre part pour proposer un accompagnement administratif sur tout ce qui concerne l’allocation adulte handicapé.
Le Pôle Art et Handicap du Théâtre du Cristal a également produit des fiches pratiques à destination des structures médico-sociales afin de mieux accompagner les personnes dans leur participation à la vie culturelle, ainsi qu’à destination des structures culturelles qui ont besoin de mieux comprendre comment accueillir un public spécifique. La volonté est d’avoir le public le plus hétéroclite et diversifié possible. La relation à celui qui vient regarder va ainsi changer.
Le Pôle Art et Handicap est parti d’un diagnostic de terrain : quelles sont les structures médico-sociales et les structures culturelles partenaires ? Est-ce qu’elles se connaissent, est-ce qu’elles travaillent déjà ensemble ? Ce Pôle a une fonction ressources mais sa cheville ouvrière est le travail de terrain, qui consiste à créer les rencontres entre ces structures, à favoriser les coopérations et à construire les ressources permettant une réflexion collective, un travail complémentaire et pensé en synergie.
Avec son festival Imago, le Théâtre du Cristal réfléchit maintenant à la pertinence de son label « Art et handicap » : cette catégorisation peut-elle stigmatiser ou au contraire permettre de porter une parole militante ?

Ressources
Ressources en lien avec les interventions et thématiques abordées lors de cette plénière conclusive
- Théâtre du Cristal : https://www.theatreducristal.com/?lang=fr
- Ressources et outils du Pôle Arts et Handicap : https://www.theatreducristal.com/ressources/
- Langue des signes française et culture sourde à la MJC de Martigues : https://www.mjc-martigues.com/mjc-martigues/projets/mjcsigne/
- Le Vent se lève, zone libre d’art et de culture, éthique et solidaire : https://leventseleve.com/
- Padlet de l’UFISC sur les droits culturels : https://padlet.com/UFISC/droits-culturels-cktevpci0f5mea0t
- Opale, les droits culturels, vue d’ensemble : https://www.opale.asso.fr/article460.html