Culture et ruralité : après le printemps, voilà l’été ?

L’UFISC mène depuis une quinzaine d’années un travail au plus près des territoires sur la thématique « Cultures et ruralités » et a proposé une contribution détaillée à l’appel « Pour un Printemps de la ruralité » lancé par le ministère de la Culture. Cette démarche au long cours prend la forme de rencontres plurielles et de la constitution d’une communauté apprenante, matérialisée par des « Visites apprenantes » réunissant acteurs et actrices, élu⸱es et technicien⸱nes du territoire, associations, habitant⸱es autour d’une problématique singulière.

En quinze ans de labourages et pâturages aux quatre coins du pays, l’équipe de l’UFISC a rencontré et recensé une myriade de projets, divers, qui dépassent souvent le champ artistique, mais sont unis par une approche et des valeurs telles que les droits culturels, l’urgence écologique et démocratique, et ont comme outil commun la convivialité.

Cette exploration du terrain a conduit à des constats déclinés en introduction par Grégoire Pateau, et Alban Cogrel, avant que les invité⸱es, praticien⸱nes de terrain puis élu⸱es, ne partagent leurs expériences et livrent leurs analyses.

Animation
  • Grégoire PATEAU, Chargé des dynamiques territoriales et de projets à l’UFISC
  • Alban COGREL, Directeur de la FAMDT – Fédération des Actrices et Acteurs des Musiques et Danses Traditionnelles et co-Président de l’UFISC
Intervenant·es
  • Benoît CAREIL, Adjoint à la Maire de Rennes en charge de la Culture, Vice-Président de la FNCC – Fédération Nationale des Collectivités pour la Culture
  • Alsény CHERIF, Directeur artistique, artiste musicien et formateur. Association Wombere
  • Stéphane DELVALÉE, Membre de la collégiale du Centre International du Théâtre Itinérant (CITI)
  • Denez MARCHAND, Vice-Président du Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, en charge de la culture et de la promotion des langues de Bretagne et de la lecture publique
  • Laurence MARTIN, Chargée de mission Ruralités au Département des territoires de la Délégation Générale à la Transmission, aux Territoires et à la Démocratie Culturelle du ministère de la Culture
  • Élisa MOREL, Chargée de mission coordination du réseau à France Festivals
  • Agnès TRANDUC, Coordinatrice à Wombere et Coordinatrice du collectif Festisol du Tarn
  • Lucie LAMBERT, présidente de la MJC/ Centre social/ SMAC L’Usine à Chapeaux à Rambouillet

Sortir du laboratoire

Grégoire Pateau livre quelques chiffres éloquents : « Sur 350 000 associations culturelles qui représentent 300 000 emplois et cinquante millions d’heures de bénévolat, 40% sont implantées en milieu rural ou périurbain. Elles s’inscrivent dans des économies plurielles, marquées par l’importance du champ réciprocitaire (bénévolat, échange de services). »

L’UFISC a œuvré à recenser les « bonnes pratiques » … mission qui s’enthousiasme de la myriade de structures existantes mais qu’il est toutefois difficile de valoriser à la bonne hauteur !

Ces rencontres et visites apprenantes organisée par l’UFISC ont aussi eu pour objet la coconstruction de projets culturels de territoire avec les partenaires de terrain.

« Ces quinze années ont montré que la ruralité est un laboratoire des possibles, concluent les animateurs. À ceci près qu’il est temps de sortir du laboratoire : il ne s’agit pas de possibles alternatives mais d’un modèle souhaitable. Il s’agit désormais de transformer le pas de côté en pas de géant : ce devraient être des modèles majoritaires plutôt qu’alternatifs ! ».

Des expériences foisonnantes et contributives

Après cette introduction, une première partie invite les intervenant·es de terrain à partager leurs expériences et leurs réflexions, avant une deuxième partie consacrée à l’analyse des élus Benoît Careil et Denez Marchand.

Des festivals ruraux ancrés

Élisa Morel, chargée de coordination à France Festivals, livre quelques conclusions de l’étude SoFEST, initiée et coordonnée par France Festivals en avril 2024, qui a analysé plus de 240 festivals de spectacles vivants dans 13 régions et mené 30 000 questionnaires auprès des spectacteur·ices.

Un tiers des festivals a lieu en milieu rural, précise-t-elle, même si certains territoires sont sous représentés. La majorité se produit l’été. En milieu rural, la caractéristique des festivals est d’être plus souvent à l’initiative de bénévoles et de compter moins de professionnel·les de la culture. Les organisateur·ices sont généralement mieux connu·es des habitant·es.

La première motivation de l’organisation des festivals est la revitalisation du territoire par la culture. Quant à la sociologie des publics, elle est comparable en milieu rural et urbain, avec une majorité de femmes diplômées et deux tiers de cadres. « La singularité des festivals en milieu rural, conclut Elisa Morel, réside dans la logique de participation de la population. ».

L’itinérance : aller vers, un travail au long cours.

Stéphane Delvalée, membre de la collégiale du Centre International du Théâtre Itinérant (CITI), analyse pour sa part les enjeux de la culture en ruralité, depuis sa double casquette d’itinérant et de conseiller municipal. Pour lui, l’action artistique interroge sur la nécessité de sortir du champ exclusivement culturel pour prendre en compte le non-humain, et de trouver des personnes ressources qui font lien.

Comment les politiques publiques peuvent-elles soutenir les acteurs qui œuvrent en ruralité ? Déjà, insiste-t-il, en s’orientant vers des contrats d’objectif pluriannuels et en limitant les appels à projets. Il souligne également la nécessité de renforcer les aides à l’emploi et d’appuyer les réseaux existants.

« Venir quelque part, lorsqu’on est une compagnie itinérante, cela exige un temps long, d’infusion, un travail en profondeur pour rencontrer les écoles, les associations, les élu·es. Cela pose aussi des questions d’interterritorialité lorsqu’on intervient sur des localités à la lisière de deux communautés de communes ou de deux départements. »

Enfin, il souligne l’importance de l’aide à l’ingénierie, notamment en ce qui concerne les possibilités de projets européens LEADER, qui permettent d’obtenir de l’argent de l’Europe décentralisé sur les Groupements d’action locale.

Une exigence de transversalité et solidarité

Agnès Tranduc anime depuis vingt ans l’association Wombere avec l’artiste guinéen Alseny Solo Cherif.

Wombere a pour objet l’accompagnement de personnes handicapées entre la France et la Guinée, autour d’un projet musical, le nom de l’association signifiant « jouer ensemble » ; elle a créé à Rabastens (Haute-Garonne) la cantine bio et solidaire le Populaire, organise des événements et festivals et mène toutes sortes d’actions artistiques et solidaires tant en France qu’en Guinée, où elle a travaillé à la professionnalisation d’artistes en situation de handicap depuis 2014, avec la troupe Handicapable. Elle est l’une des actrices du Festival des Solidarités.

Un travail de solidarité via l’action artistique entre deux pays, avec toutes sortes d’outils, qui se heurte au manque de moyens. « Tout se fait à nos frais : les portes ne s’ouvrent pas et hors un peu de financement FONJEP, tout repose sur des bénévoles peu nombreux·euses pour financer l’association », déplorent de concert Agnès Tranduc et Alseny Solo Cherif.

Des outils mobiles pour aller au plus près

Présidente de L’Usine à Chapeaux installée près de la forêt de Rambouillet, Lucie Lambert présente cette MJC à l’âge vénérable de 64 ans, agréée centre social depuis 1993, et SMAC (Scène de musiques actuelles) depuis 98. Deux labels qu’elle décrit comme extrêmement complémentaires.

La spécificité du fonctionnement de L’Usine à Chapeaux est de travailler avec des habitant·es « associé·es » : l’association compte 2 500 adhérent.es et plus de 12 000 usagèr·es.

Dans le cadre de la refonte de son projet social, L’Usine à Chapeaux émet tous les quatre ans, un diagnostic de territoire en profondeur mêlant les données « froides » de l’INSEE et les données « chaudes » remontées du terrain. Le dernier s’est penché sur le sujet récurrent de la mobilité dans cette zone rurale.

« Ce diagnostic a conduit, explique Lucie Lambert, à “renverser la vapeur” : aller vers les personnes plutôt que les faire venir à la structure. Cela nous a amené à travailler un projet d’itinérance et d’outils de mobilité, avec une flotte de véhicules permettant de sillonner un territoire assez vaste et rural pour être au plus près de la population et des communautés des villages. On a fait appel à Mon Ptit Camion, qui a fourni une étude et de l’ingénierie sur des outils itinérants. Cela a commencé par l’outil qui nous est très cher, la ludothèque installée dans un quartier, parce que tout le monde joue et que les jeux permettent d’impliquer tous les publics ! Le premier véhicule mis en circulation a été la ludomobile, précise Lucie Lambert. Aujourd’hui, nous avons plusieurs véhicules, dont une caravane qui permet de présenter l’accès aux droits, et plusieurs outils. »

L’association travaille de concert sur ses deux piliers représentés par son double label : le social pour l’accès au droit, et l’action artistique et culturelle, notamment auprès de la jeunesse : « Nous avons aussi un vrai problème de mal être des adolescents sur le territoire, explique Lucie Lambert. Nous avions perdu les éducateurs de rue et avons connu beaucoup de cas de suicides. On constate des phénomènes d’isolement lié au manque de mobilité. Le département est venu nous chercher pour accueillir un point d’accueil écoute jeunes. »

Pour ce travail, les outils mobiles sont complémentaires : qu’il s’agisse du déplacement des psychologues et éducateur·ices spécialisé·es, ou de la décentralisation des concerts, résidences d’artistes, contes, fresques menées avec les adolescent·es. « Il s’agit de ne pas stigmatiser la prise en charge de la difficulté, mais de la mener dans une expérience de vie simple, conviviale et qui ne fait pas peur, conclut Lucie Lambert. On n’utilise jamais un outil seul, sans le compléter par d’autres ».

Pour des territoires habitables et désirables

Quelques interventions de la salle viennent corroborer ou interroger les témoignages.
Des participant·es soulignent l’importance de décloisonner les sujets, avec des acteur·ices culturel·les. D’autres soulignent l’importance des fonds européens en ruralité. Un autre enfin insiste sur l’importance d’une alliance sur les questions de la culture et de l’alimentation, opposant l’agroalternative à l’agrobusiness. Enfin, la question sémantique est aussi abordée : « chez toi, tu ne parles pas de ruralité, mais de campagne ! » souligne un participant.

De cette première partie, les deux co-animateurs retiennent l’importance accordée au temps long, à l’infusion territoriale, au travail sur « aller vers », à l’articulation entre local, national et international. Et affirment un leitmotiv des rencontres de l’UFISC et ses partenaires : « travailler à rendre le territoire habitable et désirable, plutôt qu’“attractif” ».

Des refontes politiques souhaitables

Le Printemps de la ruralité : quels retours ?

Il revient ensuite à Laurence Martin, chargée de mission Ruralités au Département des territoires de la Délégation Générale à la Transmission, aux Territoires et à la Démocratie Culturelle du ministère de la Culture (DG2TDC) d’établir un bilan de l’appel par le ministère de la Culture pour un « Printemps de la ruralité », qui a reçu 35 000 contributions, sous différentes formes : questionnaires renseignés, contributions en lignes, débats organisés dans les Drac, sondage CSA.

Ces contributions, précise-t-elle, feront l’objet de rapports parlementaires comme de l’Inspection Générale des Affaires Culturelles, et des Assises étaient également prévues. Mais il est possible d’ores et déjà de pointer les principaux enjeux remontés des contributions :

  • La mobilité
  • Les initiatives locales qui ont besoin d’être mieux valorisées et visibles
  • L’ingénierie à la fois humaine et financière
  • La gouvernance locale, qui exige une meilleure coopération entre acteurs, élu·es, État et LA mutualisation des équipements
  • L’enjeu spécifique du patrimoine : restauration, valorisation, appropriation

La nécessaire coopération entre collectivités

Vice-Président de la Fédération nationale des Collectivités territoriales pour la culture (FNCC), Benoît Careil rappelle que l’objet de cette dernière est précisément la coopération.

Il cite également le GIP Café cultures : un groupement de 80 collectivités territoriales ensemble pour financer de l’emploi artistique par des employeur·euses occasionnel·les et qui participe à 60% de la masse salariale nécessaire à l’organisation d’un concert ou d’un spectacle sans intervenir sur le choix des artistes. « La majorité de demandes d’aide proviennent des territoires ruraux, souligne-t-il, sans que les collectivités soient obligatoirement adhérentes du GIP. Il souligne enfin la nécessité de se mettre au service des initiatives. C’est aux habitants de dire ce qu’ils veulent, il faut refuser l’attitude “descendante” ». Ce que fait la Région Bretagne via ses agences décentralisées et la métropole de Rennes, au travers de ses aides à l’initiative locale, notamment dans le cadre de l’été culturel.

Denez Marchand rappelle les compétences des départements, qui comportent en matière culturelle la lecture publique et les archives départementales. Au-delà de ces compétences, précise-t-il, le rôle du département est de veiller à la solidarité territoriale entre territoires urbains et ruraux, façade maritime et intérieur des terres. Cela s’exprime par une solidarité financière envers les communes peinant à réaliser leurs projets ou par une aide en matière d’ingénierie.

Mais cette solidarité est mise à mal par la question des moyens. Denez Marchand rappelle les difficultés inédites auxquelles font face les départements cette année : une chute des recettes liée à la baisse du marché immobilier et une augmentation des dépenses, avec une hausse des allocataires du RSA suite à la réforme de l’assurance-chômage. Il insiste sur la nécessité, pour les collectivités, de retrouver une autonomie fiscale : « Quand vous entendez parler de baisse d’impôts, il y a derrière une baisse de financements ! ».

Il insiste par ailleurs, dans la mission spécifique du département en matière culturelle, sur la mise en réseau des 300 médiathèques que compte le département, et sur le poids important des cultures et des langues régionales : « Rappelons que la culture ne s’exprime pas seulement en français et qu’il est urgent de changer de braquet pour la défense de ces langues qui sont gravement menacées, comme le climat et la biodiversité !».

En conclusion…

Avec comme mots d’ordre « coconstruction et transversalité », cette table ronde à mis à l’honneur l’immense champ des possibles que constituent les initiatives culturelles et citoyennes en milieu rural dans toutes leurs diversités.

Une meilleure prise en compte de leurs spécificités, notamment de leur modèle économique hybride et non-lucratif, à la croisée du secteur public et du monde marchand, demeure néanmoins souhaitable pour défendre au mieux la diversité culturelle et renforcer les droits culturels des personnes.

Un changement de paradigme nécessaire qui sera, espérons-le, de mieux en mieux pris en compte dans le cadre des politiques publiques de la culture, notamment suite aux résultats et perspectives issus du Printemps de la ruralité.

Cette synthèse a été rédigée par Valérie de Saint-Do pour l’UFISC.

RESSOURCES

► Site Internet ressources « Cultures et ruralités » de l’UFISC : https://cultureruralite.fr/

► Principales ressources issues du Printemps de la ruralité : https://cultureruralite.fr/ressources-issues-du-printemps-de-la-ruralite/

► Le Plaidoyer Culture et Ruralité de l’UFISC : https://cultureruralite.fr/plaidoyer-cultures-jeunesses-et-ruralites/

► Les podcasts des mini-conférences des Rencontres nationales « Projets artistiques et culturels en milieu rural » à Run Ar Puñs (2023) : https://cultureruralite.fr/retour-sur-les-rencontres-projets-artistiques-et-culturels-en-milieu-rural-a-run-ar-puns/

► Dossier « Projets de territoires culturels et transitions » de la revue Transrural n°449, fruit des témoignages, échanges et réflexions développés lors des Rencontres nationales « Projets artistiques et culturels en milieu rural » à Run Ar Puñs (2023).

► L’étude SoFEST ! initiée par France Festivals, sur les effets durables des festivals du spectacle vivant sur les territoires et la société, au-delà de leur contribution artistique.

Gip Cafés Cultures, gestion d’un fonds d’aide destiné à favoriser l’emploi artistique dans les cafés et restaurants.

Mise en perspective POP MIND 2019

► Territoires ruraux et jeunesse « Agitons la culture ! », à écouter : https://smartlink.ausha.co/pop-mind/territoires-ruraux-et-jeunesse-agitons-la-culture

L'édition 2024

Culture et solidarité : l'urgence d'agir en commun !

Pour la 6ème édition de POP MIND, l’UFISC et le CRID se sont associés pour une édition exceptionnelle « POP MIND x Festisol », accueillie à l’ANTIPODE (Rennes).

« L’urgence d’agir en commun » a été le fil rouge des 44 temps forts (plénières, conférences, tables rondes, ateliers, cercles d’échanges…) qui ont réuni plus de 400 participant·es à l’Antipode (Rennes), pour une édition placée sous la thématique du « faire », de la mise en mouvement, de la capacité d’agir à différents endroits, du local au global.

Cet événement d’une envergure exceptionnelle a constitué la concrétisation d’un long processus collectif, qui a réunit une cinquantaine de partenaires locaux et nationaux, issus du champ des arts et de la culture, de l’éducation populaire, du social, de l’agriculture, de l’économie solidaire, de la solidarité internationale…, motivés par l’envie de « faire ensemble » et de construire des territoires communs.