Culture et solidarité, l’urgence d’agir en commun
« Ouvrir les yeux, lever les poings, se serrer les coudes » : C’était le leitmotiv de ce POP MIND x Festisol 2024, réuni les 13, 14 et 15 mai à Rennes. C’est aussi le titre d’une tribune parue auparavant dans Politis qui soulignait : « l’effondrement du vivant, l’explosion des injustices, le creusement des inégalités sociales, la persistance des rapports de violence coloniaux, racistes, genrés, la multiplication des atteintes aux droits fondamentaux, les effets délétères d’un capitalisme toujours plus financiarisé… » était déjà un appel à la résistance collective.
Une fois cela dit, quelle forme pour cette résistance, et, comme l’indiquait l’intitulé de cette plénière, « comment mobiliser les imaginaires et les pouvoirs d’agir de tous·tes pour participer et coconstruire un horizon de paix, de diversité culturelle et de solidarité ? ». Question dont les réponses sont de plus en plus impératives, voire vitales. Et qui trouve de nouvelles réponses avec l’élargissement de POP MIND aux problématiques travaillées par le CRID et exprimées dans le Festival des Solidarités (Festisol).
Foisonnante, la table introductive de POP MIND x Festisol 2024, animée par Alban Cogrel, directeur de la FAMDT et coprésident de l’UFISC et Noura Elouardi, coordinatrice exécutive du CRID, a apporté le point de vue d’intervenant·es issu·es de collectivités territoriales, de la recherche ou du monde associatif :
- Aurélie BESENVAL, Chargée de mission « Eau & culture » à Eaux et Rivières de Bretagne
- Benoît CAREIL, Adjoint à la culture de la Ville de Rennes
- Naïma YAHI, Auteure, Historienne et Chercheuse associée à l’Unité de Recherche Migrations et Société (URMIS) de l’Université de Nice Sophia Antipolis
- Jean-Louis LAVILLE, Economiste titulaire de la chaire Économie Solidaire du CNAM, Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris.
- Denez MARCHAND, Vice-Président du département d’Ille-et-Vilaine, en charge de la Culture, de la promotion des langues de Bretagne et de la lecture publique.
Un lieu d’accueil aux couleurs des valeurs de POP MIND
Le lieu et les hôtes qui nous accueillent, via leurs coprésident·es Jérémie Hamon et Catherine Daniélou-Lebrun participent de l’esprit de résistance/offensive de cette édition de POP MIND x Festisol 2024. Ce vaste lieu de musiques actuelles et MJC à Rennes est porté par l’association Antipode depuis soixante ans. Six décennies de mise en actes de ses valeurs d’éducation populaire, et progressivement des droits culturels, de la transition écologique, de l’égalité femmes-hommes, de la diversité et du décloisonnement des espaces comme des esthétiques.

Axée sur les musiques actuelles et l’animation de proximité, l’ANTIPODE, dirigée par Stéphanie Thomas-Bonnetin (mieux connue sous le nom de Stiff et ex-déléguée générale de la FEDELIMA et présidente de l’UFISC) compte une trentaine de salarié·es auxquel·les il faut ajouter des intervenant·es régulièr·es et technicien·nes intermittent·es, et pas moins de 120 bénévoles ! C’est dire l’ampleur et le foisonnement d’activités qui vont des ateliers tous publics aux résidences artistiques, des actions culturelles tous terrains à la recherche et développement et à l’organisation d’événements et festivals. On citera parmi ceux-là la Fête des diversités qui met le feu au quartier de Cleunay avec une myriade d’associations partenaires !
L’ANTIPODE et son équipe, qui ont abattu un travail considérable pour accueillir les quelques 44 ateliers et rencontres de ce POP MIND étaient donc des partenaires naturels, comme l’ont rappelé Laetitia Lafforgue et Alban Cogrel dans leur mot d’accueil et de remerciements, avant de laisser la place aux prises de paroles des intervenant·es, invité·es à commenter le mot d’ordre Ouvrir les yeux, lever les poings, se serrer les coudes.
Politiques culturelles en Bretagne : valeurs partagées et solidarité territoriale
Les élus Benoît Careil et Denez Marchand dressent en premier lieu un tableau des politiques menées par la Ville de Rennes et le département d’Ille-et-Vilaine.
Le premier, élu écologiste depuis 2014, définit ses priorités : « aller vers celles et ceux qui ne participent pas à la vie culturelle et promouvoir l’autonomie, la capacité à faire, le pouvoir d’agir des associations ». Parmi les valeurs mises en œuvre dans la politique culturelle municipale, il cite l’égalité des genres et le respect de la manière dont les personnes veulent se définir : la Ville procède à un comptage pour vérifier la mise en œuvre de l’égalité dans les programmations, dans les musiques actuelles par exemple.
Ces valeurs interviennent dans les conventions signées par la Ville avec soixante-dix structures, conventionnées, précise Benoît Careil, avec des chartes privilégiant la prévention des risques, l’égalité hommes-femmes, la transition écologique. « Il s’agit de travailler des enjeux communs pour laisser le moins de personnes possible de côté ».
Militant politique et culturel à l’Union démocratique bretonne, écologiste et régionaliste, Denez Marchand rappelle ce qu’est la première mission d’un département : la solidarité, territoriale et humaine. « La solidarité territoriale suppose la cohérence des politiques et la lutte contre les inégalités territoriales – en Bretagne, cela concerne notamment les problèmes de logement et l’accueil des réfugié·es. » À cet égard, il précise que si son mouvement défend la notion de « peuple breton », c’est pour désigner « la communauté de gens ayant un projet de vie en Bretagne, loin des délires ethnicistes ».
« Avoir une métropole telle que Rennes est une chance, ajoute-t-il : cela apporte de la richesse mais crée des déséquilibres. Le rôle du département étant de veiller à une certaine redistribution et que l’argent aille là où l’herbe pousse moins. »
Denez Marchand affirme sa « volonté forte de construire les politiques culturelles avec et pour les personnes en difficulté », tout en s’inquiétant d’un contexte qui voit l’État baisser ses contributions aux collectivités, notamment départementales, qui n’ont pour recettes importantes que celles induites par les transactions immobilières aujourd’hui en ralentissement. D’où son appel, partagé, pour que les collectivités retrouvent leur autonomie fiscale et la possibilité de se financer.
Une solidarité à étendre aux autres qu’humains
Aurélie Besenval se définit au croisement de la culture et de l’écologie. Elle a pour mission l’action « Eau et culture » dans l’association à vocation régionale Eaux et rivières de Bretagne, qui œuvre pour la restauration et la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques. « Cela signifie de prendre en compte les représentations et attachements que l’on a dans nos territoires, les relations entre les humains, et les relations entre les humains et les autres qu’humain, commente-t-elle.
Ce qui correspond à la partie Ouvrir les yeux de notre mot d’ordre : apprendre à voir, depuis le point de vue de l’autre et le point de vue du vivant pour regarder nos territoires. Et c’est un impératif de solidarité avec les autres qu’humains : s’ils disparaissent, nous disparaîtrons précise-t-elle, citant la phrase « Quand le poisson meurt, l’homme est menacé ».
« Notre rapport au vivant et à l’eau est aussi culturel, ajoute Aurélie Besenval, construit par une philosophie qui nous a mis dans une posture d’objectivation de la nature et d’instrumentalisation du vivant. Il est temps de sortir d’une vision territoire support/territoire décor. Les réponses aux problèmes posés par la raréfaction et la destruction de la ressource en eau ne peuvent pas uniquement être traitées de manière techniciste. Elles supposent des réflexions communes. » Elle déplore que celles-ci trouvent peu de temps et de moyens pour se déployer dans une région où les atteintes à la ressource sont souvent dénoncées. Si Eaux et Rivières de Bretagne se fait le relais des lanceurs d’alerte, et a notamment initié un atlas socioculturel des rivières, la logique des appels à projets oblige à agir vite. Son intervention se conclut par un appel aux artistes à s’emparer de la science et aux scientifiques à s’emparer de la sensibilité, pour une approche multidimensionnelle d’un élément indispensable à la vie.
De nouveaux récits face aux discriminations
Naïma Yahi salue dans la tribune de Politis des propos sans langue de bois et un programme offensif contre les discriminations. Elle invite à « ouvrir les yeux » sur une réalité : l’inversement des valeurs. « Des mots comme la solidarité sont remis en question au sommet de l’État. L’accueil est questionné, alors qu’il n’y a pas de crise migratoire mais une crise de l’accueil : 80 % des migrations se font entre Sud et Sud ! » Elle s’inquiète de voir voler en éclats des principes qu’on croyait acquis, avec des décisions telles que la loi sur l’immigration, et l’obsession identitaire sur les Français de papier.
« Un discours qui n’est pas que l’apanage de l’extrême droite mais de ceux qui veulent appliquer son programme en croyant l’empêcher d’accéder aux pouvoirs », commente-t-elle, rappelant l’inquiétant précédent de la sociale-démocratie danoise qui a fait tomber le tabou de la préférence nationale.
La réponse ? Elle réside dans le mot solidarité face aux adversaires des minorités ethniques, qui sont aussi ceux des femmes et des LGBT+ et ceux de la défense de la planète. Dans cette exigence de solidarité, l’imaginaire est crucial : « Nous avons besoin de récits, d’une multiplicité de récits différents. Nous sommes dans un rapport idéologique qui nous demande de donner de la voix plus fort que ceux de nos adversaires qui font croire que la norme est le rejet de l’étranger. Face à eux, il faut articuler à la solidarité une politique de la reconnaissance. Que chacun participe à ce commun de la diversité. Commun et solidarité doivent être notre cadre d’action, défendre la pluralité des personnes et des enjeux qui les traversent. »
Les solidarités à réinventer
Jean-Louis Laville embraye sur la solidarité, pour explorer ses origines : « D’où vient la solidarité ? Un choix a été opéré avec la modernité, au sortir des guerres de religions. Une école de pensée a incité à suivre son intérêt matériel individuel plutôt que ses passions : le “doux commerce” de Montesquieu. L’avènement de la solidarité a signé l’échec de cette promesse libérale. »
Pour lui, la solidarité est la réalisation de la fraternité contenue dans la devise de la République, et son outil est l’association : la démocratie passe par l’auto-organisation. « Le néolibéralisme, ajoute-t-il, est un projet anthropologique pour supprimer la justice sociale et la solidarité démocratique et la remplacer par la “solidarité des mêmes”. » Outre les attaques néolibérales, la solidarité est mise à mal par la technocratie et ses concepts « responsabilité de l’entreprise », « capitalisme à but social »… qui prétendent résoudre les problèmes que le capitalisme.
Face à ces attaques, il invite à revenir à la solidarité démocratique, qui conjugue l’auto organisation citoyenne et l’action des pouvoirs publics. « C’est une erreur de croire qu’on peut réguler la société uniquement à partir de l’État, commente-t-il, citant Claude Alphandéry . La solidarité ne peut être ni autarcique, ni uniquement issue des pouvoirs publics. Et elle concerne aujourd’hui tous les êtres vivants ». Il souligne aussi l’importance des dialogues interculturels, face à une tradition européenne qui a fait reposer la science et la culture sur l’élitisme.
Réinventer la solidarité démocratique au XXIe siècle ? Un programme ambitieux et un travail considérable, mais rien n’est perdu, selon lui : on construit pour la génération d’après, qu’il faut inclure dans les réflexions et qui est plus rapide que nous.
« Tout n’est pas joué » , appuie Denez Marchand, qui rappelle la spécificité de l’extrême droite française, pays colonial au lourd passé qui ne demande qu’à resurgir de la pire des façons. Il invite aussi à se méfier de celles et ceux qui se positionnent contre les langues régionales et ont le culte de l’État, d’une seule langue et d’un seul peuple français, tout en se prétendant défenseur·ses pour d’autres peuples à l’étranger du droit à disposer d’eux-mêmes.
Aurélie Besenval complète son propos en incitant à interroger nos propres cultures dans leur lien avec le vivant : des inspirations sont à prendre du côté des cultures animistes venues d’ailleurs, et par les liens de mémoire à retrouver dans les territoires ruraux.
Idées et initiatives tous azimuts
Face à une telle variété de points de vue, les participant·es font aussi part de leurs constats : celui de l’atteinte aux libertés, qui n’est pas seulement l’apanage de l’extrême droite mais se manifeste aussi dans les politiques néolibérales, comme le note Gilles Rouby du Collectif des associations citoyennes. Le néolibéralisme va de pair avec une contrainte des territoires et des corps, note une participante d’une association mobilisée pour la Palestine. Cégolène Frisque, élue à la Ville et à la métropole de Rennes, déléguée au quartier dans lequel se situent les rencontres, insiste pour sa part sur la déconstruction des liens liée non seulement à la précarité mais aussi à une valorisation de l’indépendance qui répond au désir d’autonomie des individus.
Maël Lucas, cofondateur du Laboratoire des droits culturels à Bordeaux souligne que l’exigence de solidarité doit largement dépasser le champ culturel pour s’adresser aux agriculteurs, aux travailleur·ses de la santé, etc.
« La détresse n’est pas seulement matérielle, et la combattre doit être une priorité », approuve Denez Marchand. La culture a un rôle à jouer par son rôle inclusif, et les acteurs culturels doivent construire des actions politiques. Il faut accepter de s’engager, chacun à se place, dans la vie publique. »
Jean-Louis Laville estime que l’économie réelle est également fondée sur la solidarité et la coopération, au travers de pratiques non monétisables.
En conclusion, Laetitia Lafforgue appelle à agir plus vite, plus fort : « Il faut se radicaliser, c’est un programme. Ne plus rien laisser passer ! L’inconfort de la pensée et la radicalité de l’action peuvent nous permettre de régénérer un programme démocratique autour des cultures et des solidarités. Et il y a de la joie dans ce combat ! ».


Cette synthèse a été rédigée par Valérie de Saint-Do pour l’UFISC.

► Ressources
Ressources 2024
- Tribune « L’urgence d’agir en commun ! » par les organisateur·ices de POP MIND x Festisol parue dans Politis en avril 2024 : https://www.politis.fr/articles/2024/04/tribune-popmind-festivcal-des-solidarites-rennes-lurgence-dagir-en-commun/
- Les 2 émissions de radios enregistrées lors du POP MIND x Festisol 2024 :
Au programme : présentation de POP MIND et de Festisol, du Parlement de rue pour d’autres politiques migratoires, des Etats généraux de l’itinérance artistique, et de la thématique Cultures et Ruralité.
Avec Stéphanie Thomas et Catherine Danielou – Lebrun (MJC Antipode), Noura Elouardi (CRID), Alban Cogrel (UFISC), Thomas Renaux (CRID), Pépita Car (CITI), Raphaël Faure (Théâtre des chemins), Stéphane Delvallée (UFISC) et Elisa Morel (France Festival).
Production : Canal B et C-Lab pour la Ferarock.
Au programme : libertés associatives, égalité Femmes-Hommes, le perturbationnisme, le musée du Capitalisme, les transitions et le développement durable.
Avec Emma Marc (Collectif des Associations Citoyennes – Droits et Mouvements Sociaux), Agnès Rousseau (Politis), Lucie Linard (HF+ Bretagne), Marie Ponthieux (RIF), Gilbert Coqalane (Fédération de l’Art Urbain), Alice Oechsner de Coninck (Mouvement pour l’Économie Solidaire), Cécile Verschaeve (musée du Capitalisme), Boris Colin (FEDELIMA), Anaïs Massola (Pour l’écologie du livre) et Caroline Weill (Ritimo).
Production : Canal B et C-Lab pour la Ferarock.
Ressources POP MIND 2021
- Entretien croisé réalisé par Profession Spectacle en amont des rencontres POP MIND 2021, avec Bertrand Krill et Patricia Coler, respectivement co-Président et Déléguée générale de l’UFISC : https://www.profession-spectacle.com/cultures#communs-et-solidarites-un-nouvel-imaginaire-pour-ranimer-nos-societes/
- Émission spéciale POP MIND 2021, enregistrée le 5 octobre 2021 à Orléans avec Radio Béton et Radio Campus Tours, en lien avec leurs fédérations respectives, la Ferarock et Radio Campus France : https://podcast.ausha.co/pop-mind/pop#mind-2021-emission-speciale
- Déclaration de sortie de POP MIND 2021 : https://www.pop-mind.eu/wp#content/uploads/2021/11/POP-MIND-2021-DECLARATION-DE-SORTIE.pdf