Où en sommes-nous des politiques culturelles ? Quels défis à relever ensemble ?

Avant même la plénière d’ouverture de POP MIND 2024, cet atelier animé par Laetitia Lafforgue et Bertrand Krill, respectivement co-présidente et président d’honneur de l’UFISC, a proposé de réfléchir sur l’état des lieux des politiques culturelles.

Intervenant·es et participant·es étaient invité·es à réfléchir autour de deux thématiques : « Que faire face à la baisse des moyens alloués à la culture ? » et « Comment travailler mieux ensemble face à ces menaces » ?

Animation
  • Bertrand KRILL, Président d’honneur de l’UFISC
  • Laetitia LAFFORGUE, Administratrice de la Fédération Nationale des Arts de la Rue, co-Présidente de l’UFISC
Intervenant·es
  • Sarah BATTEGAY, Directrice de COIN COIN PRODUCTIONS, membre du Conseil National du SMA – Syndicat des Musiques Actuelles, en Région AURA et du CA de l’UFISC
  • Benoît CAREIL, Adjoint à la Maire de Rennes en charge de la Culture, Vice-Président de la FNCC – Fédération Nationale des Collectivités pour la Culture
  • David CHASSAGNE, Coordinateur du réseau KOLET’ (La Réunion)
  • Xavier HENRY, Directeur de Spectacle Vivant en Bretagne
  • Julien PION, Coordinateur du réseau Supermab, espace de coopération pour les musiques actuelles en Bretagne
  • Xavier MILLINER, Coordinateur régional du réseau CORLAB, Coordination des radios locales et associatives de Bretagne
  • Cynthia GUYOT, membre du réseau Hybrides, coordination régionale des lieux intermédiaires et indépendants (LII) de Bretagne
  • Sophie RÉMOUÉ, cheffe du service action culturelle du département Ille-et-Vilaine

1. Face à l’austérité annoncée, quelles stratégies ?

Rappel historique : entre expansion et refondation

Avant de laisser les intervenant·es s’exprimer sur le sujet, Bertrand Krill a dressé un historique des trente dernières années sur l’organisation générale et législative du secteur.

L’histoire des politiques culturelles, a-t-il rappelé, a vu une succession de vagues d’arrivée d’argent nouveau dans la culture, notamment depuis le début des années 80 et l’arrivée de Jack Lang au ministère de la Culture, qui a considérablement augmenté les budgets d’intervention de L’État et permis le développement de multiples initiatives et activités.

Puis, dans les années 90, face aux limites des ressources financières de l’État, les régions sont apparues comme un relais permettant au secteur de continuer à se développer. Les départements ont ensuite contribué à cette dynamique, ainsi que l’Europe, pour apporter de l’argent public à des activités en expansion considérable depuis quarante ans.

L’autre aspect de cette perspective historique est l’évolution structurelle de l’environnement public, avec deux grandes étapes législatives : la Loi NoTRE (2015) et la loi LCAP (2016). L’essentiel de cet apport législatif a consisté dans la mise en avant des droits culturels. Ce qui a permis de légitimer un discours et des pratiques sur les relations aux citoyen·nes et les relations aux territoires. Pour l’UFISC, cela constitue les deux grandes évolutions majeures du secteur des arts de la culture. Le ministère a créé la délégation dédiée aux territoires et des lieux de discussion et co-construction ont été réactivés avec les COREPS (Comités régionaux des professions du spectacle) et les CLTC (Conseils locaux des territoires pour la culture) , et l’on a assisté à des évolutions et d’expériences autour des agences culturelles des Départements et des Régions. Quant aux communes, elles ont toujours joué un rôle de premier plan dans la vie artistique et culturelle.

Rennes : Miser sur le dialogue et la coconstruction

Invité à s’exprimer sur l’articulation entre le municipal et le national, Benoît Careil a entamé ce tour de table. Militant écologiste dans une ville de tradition socialiste, il dit « avoir hérité d’une tradition de démocratisation culturelle qu’il a voulu mettre en débat, repenser et refonder ».

Pour amorcer cette refondation, Rennes a organisé en 2015 des États généraux de la Culture et y a invité l’ensemble des acteurs et actrices culturel·les, sociaux, éducatifs, ainsi que des habitant·es. « Un geste d’invitation à la coconstruction et coopération, commente Benoît Careil. 2015 marquait l’entrée des droits culturels dans la loi, ces États généraux les ont mis au cœur du débat. »

À la suite de ces états généraux, la collectivité a pris 104 engagements qui constituent depuis la feuille de route de la politique culturelle, avec trois priorités : les droits culturels et la participation des habitant·es, notamment dans les quartiers périphériques, la problématique des lieux : comment optimiser et partager des lieux culturels toujours trop rares par rapport aux besoins ? Enfin, la place de la jeunesse dans la vie culturelle, dans une ville où elle représente un tiers de la population.

Benoît Careil a résumé la politique culturelle en quelques chiffres :

  • Le budget culturel de la ville s’élève à 35 millions, dont 7 millions pour le fonctionnement des équipements en régie (opéra, musée des Beaux-arts, conservatoire…) et le service central de la Direction de la Culture ; 15 millions d’euros pour rémunérer les 500 agents des services culturels municipaux et 13 millions en subventions pour les associations missionnées ou conventionnées, qui font la diversité et le foisonnement de la vie culturelle rennaise, de l’association de culture bretonne (quelques milliers d’euros) au TNB (3,3 millions d’euros).
  • 200 associations sont ainsi soutenues financièrement chaque année. La Ville a cherché à simplifier au maximum l’instruction des dossiers et leur remplissage par les acteur·ices. Tous les dispositifs, dossiers et critères sont en ligne sur le site de la Ville, ce que Benoît Careil juge important en termes d’accessibilité pour tous·tes, de transparence et de renouvellement des acteur·ices culturel·les.

« Depuis 2014, admet l’élu à la Culture, le budget culture n’augmente que de 1 à 2 % par an, et avec le nouveau Conservatoire et la nouvelle SMAC Antipode, ouverts en 2021, qui ont vu leur soutien fortement augmenter, les subventions aux autres structures ont globalement stagné. Les nouveaux objectifs de la politique culturelle, droits culturels, diversité des expressions artistiques, jeunesse, coopération, ont été traités par une évolution des projets de chaque structure, un dialogue et des coopérations fortement encouragées par la Ville et un inévitable redéploiement du budget, avec des baisses temporaires et des réajustements depuis la période COVID.

Le soutien aux artistes est toujours important, on les accompagne de la formation initiale à l’inscription dans des réseaux professionnels mais à la fin de ces parcours, certain·es doivent sortir des dispositifs d’aide pour pouvoir en accueillir de nouveaux. Cela peut créer des incompréhensions, nous nous efforçons d’avoir une parole claire, sincère, et égale pour tous·tes et une grande transparence des critères. On a créé beaucoup de temps d’échanges, avec l’Assemblée des acteurs une fois par an, des bilatérales annuelles pour toutes les structures conventionnées et de multiples concertations par filières. L’idée forte est que la politique culturelle n’est pas un guichet, c’est un projet pour le territoire co-construit, que les acteurs sont invités à partager et à évaluer régulièrement avec nous. »

Autre grande priorité de la politique culturelle rennaise : la transition écologique, que l’élu avoue avoir eu beaucoup de difficulté à engager les premières années, mais « aujourd’hui, ajoute-t-il, le sentiment d’urgence est partagé, les acteur·ices sont mobilisé·es et la mise en place de l’éco-conditionnalité des aides est en cours, en dialogue avec les bénéficiaires des aides sur des objectifs atteignables et des critères opposables. La ville est également fortement mobilisée sur les questions d’égalité, et de lutte contre les VSS avec là-aussi la mise ne place d’une l’éco-conditionnalité des aides. »

Sortir du dogme de « l’efficacité » et du « projet »

Pour Xavier Henry, directeur de Spectacle Vivant en Bretagne, la fragilisation du secteur s’est accentuée en raison des crises inflationniste et énergétique qui ont considérablement augmenté les budgets « fluides« , au moment où l’on estime que les milieux culturels portent une très forte responsabilité dans la transition écologique, par leur capacité à créer de nouveaux imaginaires.

« L’augmentation du coût des fluides a une incidence très forte pour les collectivités territoriales, en raison du coût des chauffages des bâtiments dont elles ont la responsabilité. Il y a un vrai bras de fer, extrêmement violent, entre le Comité des finances locales et l’État », précise le directeur de l’Agence nationale du spectacle vivant en Bretagne. Il se montre par ailleurs critique sur l’impact législatif de la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances), qui a fait glisser les politiques publiques territoriales de l’intérêt général vers une notion d’efficacité : « selon que vous êtes un acteur de terrain dans une MJC ou un fonctionnaire de Bercy, vous ne placez pas l’efficacité au même endroit ! Cela a modifié insidieusement l’évaluation des politiques culturelles et permis à certains élus de faire une confusion entre l’impératif de service public et l’injonction de services au public faites aux acteurs culturels : “faites venir plus de monde”. Aujourd’hui, beaucoup de financeurs privilégient une projétisation dans l’utilisation de leur budget, plutôt que l’accompagnement d’acteurs sur le terrain. Cela a des incidences fortes sur la pérennité territoriale des actions. C’est un axe de réflexion fort que nous devons avoir. »

Coup de ciseau sur les moyens des départements

La contraction et les difficultés pour les départements ne sont pas nouvelles mais la situation devient très compliquée, indique Sophie Rémoué, cheffe du service action culturelle du département d’Ille-et-Vilaine. Ce dernier constitue un acteur majeur des politiques culturelles, avec un budget de 6 millions consacré aux actions. Traditionnellement, la compétence obligatoire des départements concerne les archives et la lecture publique. L’intervention sur le spectacle vivant et les arts visuels est dite volontariste. La loi NOTRe et sa notion de compétences partagées est facilitante.

« Nous avons deux modalités d’intervention, précise Sophie Rémoué, la subvention et l’accompagnement en ingénierie. Pour les subventions, il existe depuis longtemps l’entrée action culturelle, ou éducation artistique et culturelle tout au long de la vie. Le département est par ailleurs garant de la solidarité territoriale, dans un territoire urbain et rural, et de la solidarité humaine. L’inscription des droits culturels est nommément inscrite dans le projet de mandat du département. »

« Mais, ajoute-t-elle, depuis les années 2008-2009, les départements ont de grandes difficulté à assurer leur mission solidarité en matière sociale, parce qu’ils subissent un effet ciseau : baisse de financements et montée des besoins. Cela nous a conduit avec différents élus à la culture, à repenser la manière dont on intervient. On a un socle d’environ soixante partenaires, que l’on conventionne avec les autres collectivités. Par ailleurs, on a développé des dispositifs plus ouverts, mais sans appels à projets : plutôt qu’une politique de guichet, on est à l’écoute avec des dispositifs les plus ouverts possibles. On vit une nouvelle vague de difficultés due à la contraction du marché immobilier, qui voit baisser notre seule ressource : les droits de mutations (communément appelés frais de notaire). Cela va nous obliger à repenser les fondements de la politique départementale. »

2. Du côté des acteur·ices : moins de moyens, plus de technocratie

Après ce tour de table des acteurs politiques, Laëtitia Lafforgue invite les représentant·es des organisations professionnelles et réseaux à s’exprimer sur l’impact de la baisse des budgets et des contraintes croissantes liées aux dispositifs de financement.

La marginalisation des indépendants

Sarah Battegay fait partie des acteurs et actrices qui ont vécu l’impact d’une politique régionale franchement orientée idéologiquement (à droite) en Région Rhône-Alpes. « On vit un vrai glissement, depuis le soutien public au projet d’une structure, labellisée ou non, issue de la société civile vers de nouveaux dispositifs pour les acteurs qui relèvent plutôt de la prestation. À cela s’ajoute le temps passé à remplir de multiples dossiers et la difficulté à financer le temps de travail, ce qui augmente la précarité des acteurs. Il y a une vraie crispation autour des baisses de budget des structures labellisées. Ceux qui font partie des “restes de la culture”, hors des labels subissent une raréfaction du soutien, puisque le budget disponible des lieux labellisés pour l’artistique diminue. D’autant plus que c’est aux politiques publiques d’assurer l’équilibre territorial, pas à ces lieux qui sont missionnés pour faire des choix. » Sachant que la politique musicale est liée à un contexte qui voit trois multinationales, Universal, Sony et Warner se partager 85 % des revenus de la musique, et faire partie de grands groupes liés à des médias.

« Nous, les indépendants représentons la frange, les restes, ajoute Sarah Battegay. Il est donc plus difficile de trouver une autonomie vis-à-vis des politiques publiques. Développer un futur désirable devient un acte quasi militant, difficile à vivre au quotidien. L’espace médiatique qui participe à créer ce futur est aussi menacé, et le contre-pouvoir qu’on souhaiterait exercer reste très marginalisé.
Face à cela, notre établissement public, le CNM, reste dans une vision très économique de l’évaluation des acteurs. Plutôt que d’écouter la musique, on y instruit les dossiers à l’aune d’un modèle de production. Donc, nous essayons de leur montrer que lorsqu’on fait de la musique avec d’autres moyens que l’industrie, on n’est pas moins professionnel pour autant. C’est un champ de bataille ni totalement perdu, ni tout à fait gagné
. »

L’injonction au plaidoyer permanent

Xavier Milliner, coordinateur régional du réseau CORLAB, enfonce le clou sur la bureaucratie et les exigences de prestations croissantes imposées au secteur associatif, qui n’épargnent évidemment pas les radios indépendantes : « On a vu l’impact de la loi LOLF sur notre fonctionnement, avec la multiplication des appels à projet. L’effet de ce management au projet se traduit par la nécessité de produire un plaidoyer permanent, de plus en plus défensif, et des stratégies d’anticipation, sur fond de menaces sur les libertés associatives et éditoriales. La crise sanitaire, ajoute-t-il, a marqué le besoin pour les radios de retrouver du sens et une énergie associative renouvelée suite à la perte de bénévoles. »

« On vivait une injonction à mutualiser en même temps que la nécessité de renforcer le fonctionnement interne de chaque radio et de retrouver des espaces de convivialité pour la vie associative. À l’échelle des réseaux, on vit un double risque avec ces injonctions : celui de l’épuisement des adhérent·es mais aussi celui de devenir aussi des technocrates aux plaidoyers de plus en plus techniques. Cela permet de franchir des paliers et d’obtenir par exemple des fonds européens, ou les appels à projet Alternatives vertes, mais au prix d’une technocratie croissante et du risque de s’éloigner du terrain de nos adhérent·es. En revanche, conclut-il, il y a un champ important à investir : celui des recherches participatives, en lien avec des universités dans un rapport science/société. On a un rôle à jouer, avec des leviers de financement qui permettent de se professionnaliser ensemble et d’éviter de devenir des technocrates tous seuls dans son coin ! »

La novlangue, révélatrice d’aberrations

Coordinateur du réseau Kolet’ à La Réunion, David Chassagne livre, selon ses propres mots, un « témoignage tropical ». « Dans le contexte particulier de l’île, lointaine et comptant un peu moins d’un million d’habitant·es, explique-t-il, on ne peut pas dire que le montant des subventions ait baissé. Il y a un vrai enjeu à défendre la culture à La Réunion, pour des raisons de paix sociale, de question identitaire et linguistique, d’importance de la jeunesse, de culture à construire. Et c’est aussi un enjeu politicien : nos élus ont besoin que la culture se voit. »

Il enfonce en revanche le clou sur la multiplication des appels à projets :
« Je viens d’apprendre le mot « projétisation » : c’est le système le plus délétère qui soit. On est dans l’injonction paradoxale : beaucoup de structures sont financées pour l’action culturelle et non la création artistique. Or l’action culturelle existe sur un temps long qu’on nous demande de financer avec des subventions de courte durée qu’il faut renouveler chaque année ! Une structure passe six mois à chercher des subventions, cinq mois à mener ses actions, un mois à faire son bilan ! Si, déjà, les financements arrivaient à temps, bon nombre de problèmes seraient résolus. Et à propos de technocratie, un autre élément est dramatique, le cerfisme permanent : on remplit du CERFA à longueur de journées, et beaucoup de structures ne savent pas comment le faire ! »

Poursuivant sa dissection de la novlangue des politiques publiques, il s’en prend à un autre motif d’agacement : l’innovation. « Il faut que les projets soient innovants, on n’a jamais le temps de pérenniser ce qu’on vient d’innover. On a même inventé la « rétro-innovation » qui consiste à mettre au goût du jour de vieux projets ! C’est un jargon délirant. Il y a un moment où on ne peut plus inventer. Laissez-nous du temps long pour poser nos innovations ! »

« Il ne faut peut-être pas beaucoup plus d’argent, mais plus de logique dans la distribution de cet argent, conclut-il, tout en admettant qu’à la Réunion, acteurs et actrices ont la chance d’être épaulés par un volontarisme assez solide des institutions, et par une interconnaissance forte : on se rencontre beaucoup, on se voit, on se connaît, les coopérations se font assez facilement. Et ça, le numérique ne le remplace pas ! »

Quelles coopérations pour quels contre-pouvoirs politiques ?

Argument des valeurs versus arguments économiques

Le tour de table des intervenant·es suscite des réactions et suggestions, sur fond d’inquiétude politique. Pour Maël Lucas, cofondateur du Laboratoire sur les droits culturels, il faut dépasser le cadre du secteur culturel et enfoncer le clou des droits humains : « On l’a vu au moment du COVID, on est non essentiel quand on argumente sur le plan économique alors que les religieux qui ont argumenté sur la notion de droit humain fondamental ont eu le droit d’ouvrir les églises ! ».

Il prône aussi une alliance très élargie avec des acteurs du champ associatif hors du champ artistique professionnel : beaucoup de professions défendent les mêmes valeurs de liberté et d’affirmation des droits culturels. Il y a un travail à faire avec les droits culturels, mais aussi avec les communs : l’endroit où des personnes assument d’avoir besoin d’argent public pour faire face à des engagements. Beaucoup de valeurs, telles que la liberté d’expression artistique, suffisent à argumenter pour montrer qu’on s’inscrit dans l’intérêt général. Et qu’on puisse être sincère dans nos évaluations pour aider les pouvoirs publics à flécher les moyens.

L’association comme commun

Président du Collectif des associations citoyennes, Gilles Rouby se demande comment défendre des espaces d’émancipation, quand certains projets d’émancipation et d’éducation populaire n’ont plus droit de cité dans la société. « La concentration en matière musicale devrait être de notoriété publique. Comment sortir de cette logique marchande et lui opposer des logiques tout aussi opérationnelles ? », souligne-t-il, estimant qu’on a beaucoup trop cédé au vocabulaire de l’adversaire, « notamment sur la notion d’évaluation, où l’on doit faire valoir ce qui est vraiment important, le lien humain ? ».

Enfin, il souligne que la question de la solidarité ne peut se résumer à la politique sociale. « L’un des gros enjeux de ces journées, c’est de travailler à porter un récit commun, le faire vivre, penser l’association comme un commun appartenant aux citoyens. » Il demande d’ailleurs aux Rennais d’expliciter la relation entre politique culturelle et politique sociale.

Oser revendiquer un projet politique

Directrice de l’Antipode, structure hôte de ce POP MIND, Stéphanie Thomas-Bonnetin, lui répond : « L’Antipode possède la singularité d’être portée par un projet associatif, qui régit à la fois une scène de musiques actuelles (SMAC) conventionnée par le ministère de la Culture, la Ville, le département et la région, et une MJC classée dans la nomenclature des équipements de quartier. On a donc deux conventions et mon rêve serait qu’on n’en ait plus qu’une prenant en compte l’intégralité du projet de l’Antipode où tout ce qui se passe avec la jeunesse, l’enfance, les pratiques amateur se nourrit de la création artistique et de la présence des artistes. Ce qui est positif est là d’avoir un vrai dialogue avec la ville de Rennes et les collectivités territoriales. Mais je rêve de pouvoir présenter dans sa complétude, ce qui permettrait de l’évaluer différemment en minorant des critères trop marchands. ».

Elle insiste aussi sur la nécessité d’affirmer le caractère politique des projets associatifs : « Nous revendiquons un projet politique axé sur les droits culturels et l’éducation populaire, en résonance avec un certain nombre de valeurs portés aujourd’hui par nos partenaires politiques. Mais comment, dans des moments délétères de transition politique, marqués par l’extrême droitisation, pourrons-nous représenter une force de contre-pouvoirs et continuer ? »

L’impératif des coopérations

Le deuxième tour de table est un appel aux solutions, et notamment aux initiatives de coopération. Un premier exemple en est donné par Julien Pion, coordinateur du réseau Supermab en Bretagne. Supermab est ce qu’on pourrait qualifier de filière régionale, née en 2020 et en construction. Julien Pion le définit comme « un endroit où l’on crée du lien, où l’on donne de l’information et où l’on traite de sujets importants pour la filière : transition, inclusivité, ruralité, santé, formation. Sa spécificité est d’être ouvert à des structures de pratique amateurs et émergentes, ainsi qu’aux adhésions individuelles d’artistes. »

« Nous répondons à la question : où trouver des aides, mais aussi où trouver un peu de considération, moins d’isolement, moins de précarité ? Les artistes à cet égard sont à la jonction de toutes les problématiques, ils ont peu de moyens et doivent se débrouiller par eux-mêmes, explique Julien Pion. On porte aussi une forme de militantisme, avec des débats sur les questions de censure et d’extrême droite. On est convaincus que la coopération est vitale. Il y a moins de moyens, et la coopération peut être une réponse si elle est vraie. » Il regrette qu’à l’échelle de la région, il n’existe pas de lieux où on puisse coopérer et construire avec les différents partenaires publics : « le COREPS ne joue pas pleinement ce rôle, ni le Conseil culturel de Bretagne. Le Forum des politiques culturelles était une belle initiative, mais qui aurait besoin de suites. »

Pour Xavier Henry, les stratégies de coopération sont absolument impératives : beaucoup de structures bénéficiant de financements croisés, on peut s’organiser pour que lorsqu’un partenaire est défaillant, les autres puissent prendre le relais. Une coopération qu’il estime au cœur du projet culturel de la Région Bretagne, qui s’est engagée à maintenir les budgets culturels pour le mandat en cours et a signé des chartes pour la transition sociale et écologique avec l’État.

Xavier Henry appuie par ailleurs la critique faite par différent·es intervenant·es sur l’injonction au « modèle économique » fait aux structures : « Pourquoi mettre sur le même plan la culture à la production automobile ? On est toujours perdant quand on argumente sur ces problématiques. Il faut savoir recentrer nos arguments sur ce que les financements publics financent à l’intérieur des structures : de l’emploi artistique et technique et une présence sur les territoires. »

Face aux politiques hostiles

Sarah Battegay rebondit sur le rôle des COREPS, dans une région dont le président, Laurent Wauquiez, n’est pas précisément ouvert au dialogue et à la coopération en matière de politiques. Le COREPS, explique-t-elle, fonctionne très bien avec l’Agence régionale du spectacle, mais la Région n’y siège pas. La politique du siège vide rend cette absence de coopération visible. Face à une politique qui voit des festivals perdre leurs subventions sous prétexte de « rééquilibrage » avec la partie Auvergne de la région et le milieu rural, mais surtout en fonction des affinités idéologiques avec certaines collectivités, la lutte n’est pas simple, admet-elle. Elle donne l’exemple de l’arrêt de tout soutien régional à la production phonographique. « Peut-être n’avons-nous pas assez dialogué avec la Région : on était en colère et nos interlocuteurs techniciens avaient quitté leurs postes, on s’est retrouvé sans interlocuteurs. L’arrêt d’un dispositif tel que celui-ci nous a permis de réagir avec le réseau régional et les représentants syndicaux, mais il est difficile de nous aligner dans d’autres luttes. ».

Quant à parler avec l’extrême droite… Le SMA, Syndicat des musiques actuelles, s’y refuse, fort d’exemples où le dialogue n’a jamais bien tourné. « Mais il n’y a pas de bonnes décisions à part la lutte collective. Les décisions de la Région ont bloqué toute une série de projet en contraignant les autres collectivités, telles que la Ville de Lyon, à prendre le relais des soutiens aux projets ».

« Vous vivez le début de la contestation ! » réplique David Chassagne qui ne cache pas son inquiétude vis à vis de l’échéance de l’élection présidentielle de 2027 et du risque de voir le RN accéder au pouvoir. « En trois 49.3 on peut supprimer tous les festivals des arts de la rue ! Il faut rappeler que nous sommes un pays privilégié pour l’aide à la création artistique. Beaucoup d’artistes l’ont oublié et je vois peu d’engagement face à la menace, alors que des modèles tels que l’intermittence risquent d’être sacrifiés. Dans des régions ou départements, on a vu ce que donnait des modèles autoritaires qui ne sont pas même le RN, Rhône-Alpes en est un exemple, comme la Corrèze où avoir manifesté à Sainte-Soline suffit à justifier une suppression des subventions ! »

Xavier Milliner lui emboîte le pas sur la question des médias, soulignant qu’au-delà de l’épouvantail Bolloré, d’autres offensives sont tout aussi inquiétantes et que la coopération s’impose non seulement dans la lutte contre l’extrême droite mais aussi face au pouvoir actuel.

Revaloriser le politique

L’échelon départemental peut disparaître ! alerte Sophie Rémoué. Or c’est cette collectivité qui prend en charge la question de la coopération interterritoires, et notamment des EPCI en milieu rural. « Quand il y a eu un cycle de formations sur les droits culturels, mes collègues des EPCI sont venus en faisant part de leur absence d’information : ils en entendaient parler pour la première fois ! On abat un travail de titan avec la Ville de Rennes pour rapprocher le champ culturel du champ social, pour que les gens fassent valoir leurs droits culturels au même titre que leurs droits sociaux. La politique culturelle départementale est fondée là-dessus. Si cet échelon disparaît pour laisser la place à un établissement public chargé de la seule gestion l’action sociale, on ne pourra plus prendre en considération cette question. »

Benoît Careil conclut ce deuxième tour de table avec un appel vibrant à l’action politique : « acteur culturel par le passé, je suis entré en politique pour être de l’autre côté du bureau. C’est de là que viendra aussi le changement, c’est un combat politique ! ». Et, rappelle Bertrand Krill en clôturant la table ronde, les acteurs et actrices culturel·les sont aussi citoyen·nes à titre individuel et peuvent s’engager.

Cette synthèse a été rédigée par Valérie de Saint-Do pour l’UFISC.

Ressources

Tribune « L’urgence d’agir en commun ! » par les organisateur·ices de POP MIND x Festisol parue dans Politis en avril 2024 : https://www.politis.fr/articles/2024/04/tribune-popmind-festivcal-des-solidarites-rennes-lurgence-dagir-en-commun/

Mise en perspective POP MIND 2021 « Cultures, communs et solidarités : un nouvel imaginaire pour ranimer nos sociétés » :

► Campagne des présidentielles et législatives 2022 de l’UFISC « Mobilisation pour une culture de la diversité et de la solidarité » : https://www.mobilisationculturelle.org/nos-propositions.html

L'édition 2024

Culture et solidarité : l'urgence d'agir en commun !

Pour la 6ème édition de POP MIND, l’UFISC et le CRID se sont associés pour une édition exceptionnelle « POP MIND x Festisol », accueillie à l’ANTIPODE (Rennes).

« L’urgence d’agir en commun » a été le fil rouge des 44 temps forts (plénières, conférences, tables rondes, ateliers, cercles d’échanges…) qui ont réuni plus de 400 participant·es à l’Antipode (Rennes), pour une édition placée sous la thématique du « faire », de la mise en mouvement, de la capacité d’agir à différents endroits, du local au global.

Cet événement d’une envergure exceptionnelle a constitué la concrétisation d’un long processus collectif, qui a réunit une cinquantaine de partenaires locaux et nationaux, issus du champ des arts et de la culture, de l’éducation populaire, du social, de l’agriculture, de l’économie solidaire, de la solidarité internationale…, motivés par l’envie de « faire ensemble » et de construire des territoires communs.