Une démocratie à réanimer en commun !

Cette synthèse porte sur l’atelier « Une démocratie à réanimer en commun ! », mais aussi un court compte-rendu de l’atelier participatif « Coconstruction des droits et de l’action publique, implication citoyenne et engagement, comment renforcer les processus démocratiques ? ».

Le respect de la dignité des personnes, la garantie des droits humains, la justice sociale et environnementale, la participation de toutes et de tous à l’organisation des modes de vie dans la diversité culturelle… nous permettent de penser les chemins pour une démocratie qui entretienne la paix et l’émancipation. Alors que nos sociétés se confrontent à de multiples menaces autoritaires, marchandes, de contrôle, de destruction du vivant…, l’agir démocratique, à la fois fin et moyen, est plus que jamais à mobiliser pour répondre aux défis que nous traversons.

De façon à la fois concrète et locale, comme structurelle et internationale, les initiatives citoyennes s’organisent, font émerger de nouvelles voix, tentent de déconstruire et déconcentrer les pouvoirs, d’affirmer les libertés d’expression et de création, de renforcer les échanges de savoirs et d’entraide… Tant dans les structures que sur les territoires, avec les acteur·ices de la société civile comme avec les collectivités publiques, comment renforcer et redonner de la valeur à cet imaginaire démocratique ?
Intervenant·es :
  • Johanne BOUCHARD, Anthropologue, spécialiste des droits humains pour le Haut-Commissariat des Nations Unies, collaboratrice de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels, IIEDH de Fribourg
  • Jeová TORRES SILVA JUNIOR, Professeur à l’université Fédérale de Cariri (Brésil), travail de recherche sur l’économie solidaire et la gestion sociale au Brésil.
  • Luc CARTON, Philosophe, vice-président de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels de Fribourg (Suisse), Co-président de Culture & Démocratie (Bruxelles)
Contributeur·ices de l’atelier « Coconstruction des droits et de l’action publique, implication citoyenne et engagement, comment renforcer les processus démocratiques ? »
  • Romain GALLART, Coordinateur d’APPUII (Alternative Pour des Projets Urbains Ici et à l’International)
  • Christophe JIBARD, éducateur spécialisé, ex agent de développement social/organisateur communautaire pour la Fondation Asmaé
  • Frédéric SULTAN, Coordinateur du collectif Remix the Commons
  • Ida TESLA, Metteure en scène, artiste associée à la compagnie Pih Poh, formatrice

Introduction

L’intitulé de l’atelier – « Une démocratie à ranimer en commun » – annonce une double urgence : celle de revitaliser les fondements démocratiques dans un contexte de crise de légitimité, et celle de le faire collectivement, en misant sur l’intelligence sociale, culturelle et politique des communautés.

La démocratie est ici comprise non comme un régime institutionnel clos, mais comme un processus vivant, inclusif et conflictuel, qui prend racine dans les pratiques sociales. Elle repose sur une conviction, formulée par Johanne Bouchard : « Chaque personne peut apporter une contribution valable et légitime ». Dès lors, la démocratie doit être pensée comme capacité partagée à intervenir dans ce qui fait société, par la parole, la création, l’engagement.

Johanne Bouchard : démocratie, dignité et interdépendance des droits

Anthropologue et spécialiste des droits humains, Johanne Bouchard a ouvert l’atelier en rappelant les fondements éthiques de la démocratie. Sa thèse est claire : les droits humains ne relèvent pas uniquement du droit formel, mais s’inscrivent dans une éthique de la dignité, à traduire dans des processus juridiques, politiques, sociaux et culturels.

Elle cite la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) : « La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». À travers cette déclaration, Johanne rappelle que le respect des droits humains ne se limite pas à leur inscription dans le droit positif : il exige des conditions réelles d’exercice.

Sa réflexion se concentre ensuite sur l’interdépendance des libertés publiques : la liberté de conscience suppose l’accès à l’information et à une diversité de ressources culturelles ; la liberté d’expression nécessite des espaces de débat pluralistes ; la liberté d’association permet de se structurer pour peser collectivement. Elle affirme ainsi : « Aucune des libertés publiques ne peut vraiment fonctionner toute seule ».

L’enjeu démocratique, selon elle, repose donc sur la reconnaissance des capacités de chacun·e à formuler un jugement, une opinion, une expression artistique ou politique. La démocratie implique aussi un droit à être exposé·e à la diversité : « Pour que nos libertés puissent être exercées, il faut que celles des autres le soient aussi ».

Restitution de l’atelier « Coconstruction des droits et de l’action publique, implication citoyenne et engagement, comment renforcer les processus démocratiques ? »

L’atelier a permis une exploration approfondie de trois axes complémentaires du renforcement démocratique à partir de pratiques concrètes : la co-construction du droit, la participation à l’élaboration de l’action publique, et l’engagement individuel et collectif.

  • Le droit comme commun : un espace de créativité et de lutte

Frédéric Sultan, coordinateur du collectif Remix the Commons, a affirmé une vision dynamique du droit : « Le droit n’est pas quelque chose de figé qui s’impose à nous. Il peut et doit être considéré comme un espace de créativité. » Le droit est ici envisagé comme un outil d’émancipation collective, qui se nourrit des pratiques sociales. Il constitue un terrain de lutte, un levier que les citoyens et citoyennes peuvent s’approprier.

La création du droit n’est jamais neutre ni sans conflits : elle suppose de « faire vivre le droit » au contact du réel, dans l’usage quotidien, dans les initiatives collectives. La capacité de chaque personne à participer à la fabrique du droit est un enjeu central de démocratie, qui implique reconnaissance, légitimité et autonomie.

  • Repenser l’élaboration de l’action publique : accueillir le conflit

À travers la démarche Paideia (accompagnement des collectivités sur les droits culturels), et les pratiques d’accompagnement d’APPUII, les participant·es ont souligné combien l’action publique doit être repensée comme un espace d’animation du conflit. Romain Gallart a formulé une proposition audacieuse : « Il faut refaire politique dans des espaces qui n’y sont pas initialement dédiés. »

Les dispositifs participatifs actuels sont souvent construits dans une logique de consultation descendante, qui laisse peu de place à la confrontation des visions du monde. Or, la véritable démocratie implique de donner une forme aux désaccords. La participation ne peut se résumer à un consentement préfabriqué, elle suppose un dialogue conflictuel, outillé, organisé.

  • Engagement et pouvoir d’agir : la démocratie au ras du sol

À partir des témoignages d’Ida Tesla (metteure en scène) et de Christophe Jibard (éducateur spécialisé), la discussion a mis en lumière l’importance des pratiques d’émancipation territoriales, fondées sur l’expertise d’usage des habitant·es. Les deux intervenant·es partagent une même conviction : le pouvoir d’agir se construit dans la durée, par la confiance, la co-construction, et la confrontation au réel.

Le travail culturel et éducatif mené sur les territoires vise à « réinstituer une parole citoyenne » et à sortir d’une logique de participation instrumentalisée. La non-coopération des habitant·es est parfois un acte politique volontaire, révélant les limites de dispositifs normatifs déconnectés.

Un constat fort se dégage : l’action démocratique a besoin de temps, mais elle se heurte à la lenteur des réponses institutionnelles, générant une forme de violence bureaucratique. « Il y a une urgence sociale, mais les réponses arrivent parfois un an et demi plus tard », témoigne Christophe Jibard.

Jeová Torres Silva Junior : démocratie, pouvoir populaire et vigilance antifasciste

Jeová Torres, professeur brésilien en économie solidaire, apporte une lecture politique et internationale de la démocratie, marquée par l’expérience de terrain dans un contexte de régression démocratique au Brésil. Son intervention relie directement la démocratie à la capacité des peuples à faire émerger leurs propres normes : « Il faut que les conventions ne soient pas seulement construites par le pouvoir ou la puissance publique ».

Il développe une vision du droit culturel comme droit naturel, né de la pratique, de l’expérience collective, de la co-construction. Le droit n’est pas l’apanage de l’État, mais peut être initié, porté, revendiqué depuis les marges. C’est par ce biais qu’il évoque la co-création de normes démocratiques, comme forme de résistance.

Sur l’engagement citoyen, Jeová est lucide : « Pour plusieurs, l’engagement est une expérience frustrante ». Il insiste néanmoins sur le lien entre engagement individuel et engagement collectif : l’un ne va pas sans l’autre.

Enfin, il met en garde contre la fragilité des démocraties : « Ne vous moquez pas des ‘clowns’ qui se présentent aux élections, sinon vous risquez de vous moquer de votre propre démocratie ». À travers cette provocation, il interpelle sur la montée des formes d’autoritarisme sous couvert de représentativité. Le cas du Brésil, avec la suppression du ministère de la Culture par Jair Bolsonaro, en est l’illustration concrète.

Luc Carton : culture du conflit, droits culturels et démocratie délibérative

Philosophe belge, engagé dans les réseaux de l’éducation populaire et des droits culturels, Luc Carton propose une analyse structurante du lien entre démocratie, culture et conflictualité.

Il insiste d’abord sur la nécessité de dépasser les formes appauvries de démocratie participative, devenues routinières voire inefficaces. « La démocratie consultative, on la connaît. La démocratie concertative, on la pratique beaucoup. Mais elle ne produit plus rien. » Ce constat conduit à une exigence : réactiver une démocratie délibérative, fondée sur la confrontation de jugements, l’écoute active et l’appropriation collective des enjeux.

Luc Carton avance une idée forte : la démocratie suppose une culture du conflit, non pas comme obstacle, mais comme levier. « La démocratie, ce n’est pas tomber d’accord, mais apprendre à tomber en désaccord ». Il relie cette pensée à la pratique des droits culturels, qui révèlent les conflits latents en les rendant discutables, exprimables.

Il appelle à une revendication inédite : un « crédit-temps citoyen », un jour par semaine dédié à l’engagement démocratique, soutenu par des droits sociaux. Sans cela, la démocratie contributive reste l’apanage des classes moyennes.

Enfin, il propose de penser les droits culturels comme horizon de l’éducation populaire : « L’éducation populaire est en train de mourir dans les caves du ministère. Les droits culturels peuvent lui redonner un souffle, un horizon, des méthodes. »

Conclusion : raviver la démocratie par les droits culturels, l’action collective et la pensée critique

Cet atelier a mis en évidence l’épuisement des formes démocratiques traditionnelles, et la nécessité d’une revitalisation fondée sur l’engagement des citoyen·nes, la conflictualité organisée, et la reconnaissance des savoirs situés. Les droits culturels apparaissent comme un levier structurant pour relier liberté, participation et émancipation.

En misant sur la co-construction des normes, l’autonomie des habitant·es, l’invention d’espaces de débat, les acteur·rices culturels, éducatifs, associatifs se trouvent au cœur d’une démocratie à « ranimer en commun ». Une démocratie qui ne se décrète pas, mais qui se fabrique.

Ressources

Démocratie et citoyenneté, analyses. Contribution de Jeová Torres Silva Júnior sur les 3 axes ressortis l’atelier “Co-construction des droits et de l’action publique, implication citoyenne et engagement. Comment renforcer les processus démocratiques ? ».
Diaporama – atelier démocratieContribution de Jeová Torres Silva Júnior.
Diaporama Libertés publiquesContribution de Johanne Bouchard.

Ressources audio issues du POP MIND 2019

Sur les mêmes sujets…

  • Plénière d’ouverture POP MIND x Festisol 2024

    « Ouvrir les yeux, lever les poings, se serrer les coudes » : C’était le leitmotiv de ce POP MIND x Festisol 2024, réuni les 13, 14 et 15 mai à Rennes. C’est aussi le titre d’une tribune parue auparavant dans Politis qui soulignait : « l’effondrement du vivant, l’explosion des injustices, le creusement des…

    Lire la suite

  • Plénière conclusive POP MIND x Festisol 2024

    Comment conclure et prolonger une édition foisonnante de POP MIND qui a vu plus de 400 inscrit·es, 44 temps de rencontre et d’ateliers, ainsi que des temps festifs et artistiques dans cinq lieux partenaires ? Avec le mot d’ordre « Ouvrir les yeux, lever les poings, serrer les coudes », POP MIND 2024 a opposé…

    Lire la suite

  • Pour mieux faire solidarité, résister et créer avec les droits culturels !

    Les droits culturels sont inscrits depuis 1948 dans les droits humains fondamentaux. Les prendre en compte dans nos pratiques permet un regard renouvelé sur les personnes, leur dignité, leurs modes de vie et sur les relations qui les lient. Ils s’imbriquent aux luttes pour la diversité culturelle, l’intersectionnalité, les mouvements sociaux, la défense du vivant.…

    Lire la suite

  • Coconstruire les politiques publiques : pourquoi et comment ?

    La coconstruction des politiques publiques est devenue le leitmotiv de nombreux débats, notamment en matière de politiques culturelles. Mais que recouvre exactement ce mot ? Quelles sont les tensions et problématiques suscitées par ce mode d’action politique encore expérimental ? Ces questions étaient au cœur d’une table ronde consacrée à ce thème lors de la…

    Lire la suite

  • Culture et ruralité : après le printemps, voilà l’été ?

    En quinze ans de labourages et pâturages aux quatre coins du pays, l’équipe de l’UFISC a rencontré et recensé une myriade de projets… Cette exploration du terrain a conduit à des constats déclinés en introduction de cette table ronde par Grégoire Pateau et Alban Cogrel, avant que les invité⸱es, praticien⸱nes de terrain puis élu⸱es, ne…

    Lire la suite

L'édition 2021

Cultures, communs et solidarités : un nouvel imaginaire pour ranimer nos sociétés !

Organisé par l’UFISC et ses membres, en lien avec la Fraca-Ma (Fédération & Pôle régional musiques actuelles Centre-Val de Loire) et le 108, lieu collectif d’expérimentation artistique et culturel, POP MIND 2021 a rassemblé plus de 300 participant·es à Orléans.

Issu d’un processus de coconstruction collective et appuyé sur des partenariats locaux, POP MIND 2021 a témoigné de la capacité d’implication d’une multiplicité d’acteurs et d’actrices autour d’un fil rouge fédérateur « Cultures, communs et solidarités : un nouvel imaginaire pour ranimer nos sociétés ».

POP MIND 2021, c’est :

  • plus de 300 participant·es 
  • 85 intervenant·es issu·es du champ des arts et de la culture, de la recherche, des dynamiques d’économie solidaire, de la coopération internationale…
  • 25 temps forts, conférences, tables rondes, ateliers…
  • 8 organisations locales impliquées dans la coconstruction de l’événement (réseaux, structures, collectifs)
  • 35 organisations nationales et 9 organisations européennes