La culture dans les Lieux Intermédiaires : l’urgence de coconstruire !

Nés d’initiatives collectives, de processus d’affirmation citoyenne, d’une soif de permettre à une multiplicité de démarches artistiques et culturelles de se penser, de s’expérimenter, de se travailler, les lieux intermédiaires et indépendants se sont développés partout, défiant les périmètres établis. Ils construisent une identité en mouvement, une identité-relation, dans l’esprit des droits culturels dont ils se réclament. Développant des formes d’économie solidaire, ils concourent à la dynamique des milliers de lieux citoyens à la gouvernance partagée, qui hybrident une pluralité d’activités et s’engagent sur les territoires à travers des coopérations multiples (culturelles, sociales, de recherche, socio-économiques…). Ce mouvement invente de nouveaux imaginaires culturels et des pratiques en acte pour faire bouger la société vers plus de communs et de solidarités.

Alors que le gouvernement annonce un nouveau plan de 130 millions d’euros pour les Tiers-Lieux, dont 27% sont des tiers lieux culturels selon le rapport de Patrick Lévy Waitz, comment la dimension culturelle est-elle soutenue ? Comment réinterroger les rapports entre institution et société civile pour accélérer les transitions ? Comment l’expérience des friches culturelles et lieux intermédiaires et indépendants peut-elle être mobilisée dans la co-construction des politiques et des territoires ?
Intervenant·es
  • Aurélie BESENVAL, Coordinatrice du réseau Hybrides (Réseau des Lieux intermédiaires et indépendants en Bretagne)
  • Fanette BONNET, Coordinatrice du réseau Actes-if, Réseau des Lieux intermédiaires et indépendants en Ile de France
  • Dominique BORTHELLE, Directeur du 108 (Orléans)
  • Simon LAURENT, Chef de projet Tiers-Lieux à la CRESS Centre
  • Brigitte PLANCHENEAU, Coordinatrice du Pôle Publics et Territoires, Conseillère action culturelle et territoriale à la DRAC Centre-Val de Loire.
  • Rémy SEILLIER, Responsable du développement à France Tiers-Lieux
  • Stéphane SCHLEININGER, Chargé de mission – spectacle vivant Théâtre service cratio territoire et public au sein de la Direction de la Culture et du Patrimoine de la Région Centre-Val de Loire
Animation
  • Stéphanie NOEL, Théâtre des Minuits, membre du réseau ALIICE (Association des Lieux Intermédiaires et Indépendants en Région Centre-Val de Loire)

Définir sans enfermer : une identité en mouvement

Une définition collective et évolutive

La diversité des lieux intermédiaires et tiers-lieux culturels, qui s’adaptent aux besoins et dynamiques de leurs territoires, rend leur définition complexe. La charte de la CNLII – Coordination Nationale des Lieux Intermédiaires et Indépendants, élaborée collectivement, met en avant des principes fondamentaux : gouvernance collégiale, attention à la diversité culturelle, économie solidaire et ancrage territorial. Par ailleurs, s’il est entendu le besoin d’une vision/version stabilisée de définition dans le cadre d’une dimension administrative et peut-être aussi pour éviter « les passagers clandestins » attirés par « l’effet de mode des tiers-lieux », il est rappelé la nature diverse des tiers-lieux du fait de leur ancrage dans le territoire dans lequel ils s’inscrivent, l’attention à leurs besoins et aux personnes qui le motivent.

Pour éviter une catégorisation restrictive, les intervenants proposent de s’appuyer sur l’histoire de ces lieux, qui révèle leur engagement pour les communs. Documenter ces récits, comme l’a fait par exemple le réseau Actes-If à travers sa publication Réflexions et propositions pour une politique publique en direction des « fabriques » permet de construire un référentiel capable les politiques publiques tout en respectant la singularité des initiatives.

Des dynamiques ascendantes ancrées sur, avec, dans le territoire

La capacité des acteurs à se définir et à s’inscrire dans une histoire doit être reconnue par l’institution et apparaît comme un préalable indispensable à la perspective de dynamique de coconstruction.
Ces attentions peuvent alors nourrir des réflexions portées par le ministère de la culture qui, à travers la création de la nouvelle délégation à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle (DG2TDC), ouvre vers des enjeux travaillés de longue date dans ces lieux.

Portés par des artistes ou des collectifs citoyens en réponse à des besoins du terrain, ces lieux envisagent la création artistique sous l’angle des processus – recherche et expérimentation – en relation avec les autres artistes, les artistes en voie de professionnalisation, les habitant·e·s et les autres acteur·ice·s du territoire dans une approche par les droits culturels. C’est en effet par l’échange, la coopération, le partage, la transmission des pratiques et des processus de création, l’attention à la diversité culturelle que ces lieux créent des dynamiques de fertilisation croisée. Entendant rendre accessible au plus grand nombre les espaces et les outils, ils sont des espaces de coworking dans lesquels les artistes-travailleur ont une partition importante à jouer. Cela se traduit aussi dans la collégialité de leur gouvernance.

Originellement urbains, ces lieux se développent de plus en plus en milieu rural, où ils répondent à des besoins sociaux et culturels spécifiques. L’étude AJITeR de l’UFISC montre comment ils contribuent en milieu rural à la construction de parcours citoyens, notamment pour les jeunes, en favorisant l’accès à la culture et à la participation. Leur indépendance, entendue comme une capacité à s’auto-organiser et à définir leurs propres règles, ne s’oppose pas aux subventions publiques, à condition que celles-ci soutiennent leurs missions d’intérêt général sans imposer de contraintes rigides.

Intermédiaires et indépendants : un positionnement

La notion “intermédiaire” s’entend notamment à différents endroits de l’accompagnement artistique, dans la création – accompagnement de l’émergence, de l’expérimentation, des amateurs… – dans la diffusion – lieux non dédiés, publics « éloignés« , qui n’ont pas les codes – et dans la médiation. Dans le maillage qui structure le paysage culturel français, ils s’inscrivent entre le squat et la scène labellisée.

Enfin, la notion “indépendant” renvoie à la logique bottom up évoquée plus haut et à cette capacité à s’auto-définir, de se donner leurs propres règles, de s’auto-organiser et de s’auto-évaluer. La question de l’indépendance financière, à savoir que le soutien n’est pas soumis à un cahier des charges, n’est pas antinomique avec les logiques de subventions du fait des missions de services publics et d’intérêt général que portent ces lieux. Le travail sur l’auto et la co-évaluation et la reconnaissance du processus amène à poser la question du financement « au déjà là ».

Le réseau ALIICE en Centre-Val de Loire ( ALIICE ) illustre cette dynamique en mutualisant les expériences de 20 lieux pour coconstruire des outils et des cadres adaptés. De même, le réseau Hybrides en Bretagne a mis en avant une recherche-action pour valoriser ses pratiques et dialoguer avec les institutions.

Si aucun lieu ne fonctionne de la même manière des échanges se font pour partager les bonnes pratiques. La Région et la CRESS Centre Val de Loire précisent qu’à l’endroit des collectivités, tout reste à expérimenter, mais il y a une volonté de dialogue pour croiser l’expérience de ces fabriques culturelles.

Structuration et coopération : un écosystème en construction

Les réseaux régionaux

Il ressort de l’analyse des différentes structurations l’importance de se constituer en réseau et de s’inscrire dans une filiation pour pouvoir être mieux reconnu, porter les problématiques spécifiques des tiers-lieux culturels, mais aussi répondre à la fragilité qui les caractérise, travailler à leur reconnaissance par les politiques culturelles tout en préservant leur indépendance.

Actes If souligne l’importance des dynamiques d’interdépendance défendues par ces lieux. Elle se traduit à la fois entre les LII à travers un soutien mutuel mais aussi avec la puissance publique pour travailler un rapport de coconstruction. Ses réseaux apparaissent en effet comme des lieux de ressources et de transmission d’information, tant pour les lieux -l’expérience et les outils d’Actes If ont accompagné et aidé la structuration des réseaux Hybrides et ALIICE – que pour les institutions comme en témoigne le travail d’Actes If autour de la démarche de coconstruction du dispositif « Fabriques culturelles ».

Le CRESS Centre-Val de Loire insiste sur la nécessité d’une logique ascendante, où les réseaux émergent des acteurs de terrain. Cette approche garantit que les initiatives restent ancrées dans les réalités locales, tout en favorisant l’interdépendance entre les lieux et avec les institutions. Par exemple, le réseau ALIICE a émergé d’un chantier initié par le lieu culturel Le 108, en partenariat avec la région, aboutissant à un cadre expérimental de soutien sur quatre ans.

Des structurations régionales en lien avec les Conseils régionaux et les DRAC

Bien que les structurations partent souvent de dynamique d’acteur·ice·s, elles ne peuvent se concrétiser sans un lien avec la puissance publique.

Si le réseau Actes If naît d’une dynamique impulsée avec la DRAC Ile-de-France, les connexions avec le ministère en région restent plus complexes. Ainsi en 2020, le réseau Hybrides propose à la DRAC une recherche-action pour permettre une meilleure connaissance de ces membres et de leurs activités autour de l’accompagnement des artistes et de la création et l’accompagnement des habitant·es et des territoires à travers la mise en œuvre des droits culturels et des dynamiques de projets culturels de territoires (PCT).

Au niveau des régions, que ce soit le réseau Actes If, Hybrides ou ALIICE, tous se construisent en lien avec les services culture et plus largement avec les conseils régionaux notamment sur les politiques d’aide à l’emploi. Ainsi, le réseau Actes If travaille à un échange permanent avec la région IDF. C’est de cette concertation qu’à été élaboré en 2012 le dispositif Fabrique de Culture refondu depuis avec le dispositif PAC (Permanence Artistique et Culturelle). Ces dispositifs permettent de soutenir les lieux sur leur fonctionnement et leur activité transversale au-delà du soutien à la création.

De même, en région Centre Val de Loire les États généraux de la culture menés par la région en 2016 font ressortir l’importance des enjeux de concertation et de coconstruction pour le territoire et donne lieu à la création d’une commission permanente consultative pour la culture qui réunit des élu·e·s et des acteur·ice·s culturel·le·s autour de différentes problématiques. Par ailleurs, 20 mesures sont élaborées dans un document cadre, dont la volonté de mettre en œuvre une expérimentation autour de lieux de coopération artistique et culturelle. Le chantier est lancé par le 108 qui s’associe avec différents lieux et donne naissance au réseau ALIICE. Rejoint par la région, ce chantier aboutira à la mise en œuvre d’un cadre expérimental de 4 ans permettant d’accompagner les lieux sur leur fonctionnement et leur programme d’activité. Deux réunions par an sont programmées et permettent de réorienter les axes de travail au regard des nouveaux enjeux éventuels.

En Bretagne, le réseau Hybrides naît également d’un double mouvement. En 2016, une rencontre impulsée par la région Bretagne autour des droits culturels se déroule dans le même temps que le 2ème forum national des LII de Lyon. S’ensuit alors une dynamique de structuration entre acteur.ice.s culturel.le.s. Mais si la région accompagne les LII du réseau – notamment du fait d’une approche des politiques culturelles par le territoire avec des conseillers territoriaux et non sectoriels – elle n’accompagne pas la structuration du réseau qui se fait « cahin caha » à travers des temps d’échanges et d’interconnaissance. Elle est mise en suspend en 2018 suite à l’arrêt des emplois aidés qui met à mal certaines structures. L’accueil du 3ème Forum national des LII à Rennes en 2019 permettra de relancer et d’ancrer durablement la dynamique.

La recherche-action du réseau Hybrides

La recherche-action initiée par le réseau Hybrides en 2020, en partenariat avec la DRAC Bretagne, vise à approfondir la connaissance des lieux intermédiaires et indépendants bretons et à valoriser leur contribution aux dynamiques culturelles et territoriales. Elle s’inscrit dans une démarche participative, où les lieux ne sont pas des objets d’étude, mais des acteurs à part entière, impliqués de la conception méthodologique à la restitution des résultats. Voici ses axes principaux :

Objectifs :
Renforcer l’interconnaissance entre les 11 lieux actifs du réseau et les structures gravitant autour, pour consolider les dynamiques de réseau.
Visibiliser auprès des partenaires institutionnels (DRAC, région, collectivités) la manière dont les lieux Hybrides accompagnent les démarches artistiques (création, expérimentation, médiation) et s’inscrivent dans leurs territoires à travers des projets citoyens et des approches basées sur les droits culturels.
Affirmer la cohérence politique du réseau Hybrides, en complémentarité avec les réseaux institutionnels, en mettant en lumière son action immersive auprès des habitants.
Légitimer les pratiques des lieux, en documentant leur impact social, culturel et territorial.

Principes méthodologiques :
► Une approche dynamique et ascendante, où les lieux co-construisent la recherche, de la définition des enjeux à la restitution sensible et partageable.
► Une reconnaissance des lieux comme une communauté apprenante, riche de savoirs et de savoir-faire spécifiques.
► Un travail réflexif axé sur l’élaboration d’un savoir situé, favorisant le dialogue avec les institutions et les changements structurels, plutôt que sur la production de connaissances objectives.

Impact attendu : la recherche-action vise à produire un corpus de connaissances partagées, sous forme de rapports, d’ateliers ou de restitutions publiques, pour nourrir les politiques culturelles régionales et nationales. Elle renforce la capacité du réseau à dialoguer avec les institutions, tout en consolidant son identité collective. En 2021, des premiers résultats ont été partagés lors d’échanges avec la DRAC Bretagne, ouvrant la voie à une meilleure prise en compte des lieux intermédiaires dans les dispositifs de soutien.

Cette initiative, portée par des coordinatrices bénévoles comme Aurélie Besenval, illustre l’engagement du réseau Hybrides à faire reconnaître les pratiques des lieux intermédiaires tout en préservant leur autonomie

Défis structurels et financiers

La pérennisation des emplois reste un obstacle majeur. La suppression des emplois aidés en 2018 a fragilisé de nombreuses structures, limitant leur capacité à diversifier leurs financements ou à monter en compétence. Des dispositifs régionaux, comme le CAP Asso en Centre-Val de Loire, ou nationaux, comme les conventions PACT des DRAC, proposent des solutions partielles. Cependant, l’absence de dispositifs nationaux spécifiques, à l’exception des Ateliers de Fabrique Artistique, limite leur impact.

La superposition des structurations (réseaux régionaux, CNLII, France Tiers-Lieux) crée un risque de complexification et de silos. Au ministère de la Culture, la nouvelle délégation à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle (DGTTDC) prévoit des postes dédiés aux tiers-lieux artistiques, territoriaux et industriels, ce qui pourrait reproduire un millefeuille administratif. Les acteurs insistent sur la nécessité de reconnaître les dynamiques existantes plutôt que de créer de nouvelles structures.

Vers une coconstruction des politiques publiques…

1. Le rôle des réseaux

Les réseaux culturels

La CNLII, soutenue par des acteurs comme Art Factories Autre Part, joue un rôle pivot dans l’accompagnement des structurations régionales (Forums CNLII). Elle promeut une approche basée sur les communs, comme en témoigne le groupe de travail « Agir par les communs » (2019), qui réunit le ministère, l’Agence nationale de la cohésion des territoires et des acteurs culturels. Ce groupe explore des cadres d’évaluation adaptés, s’appuyant sur l’impact social et territorial des lieux (Grille d’évaluation CNLII).

L’UFISC, membre actif de la CNLII, et la Fédération des arts de la rue portent les intérêts du tiers-secteur culturel, plaidant pour une reconnaissance des dynamiques ascendantes. Les CRESS, en tant que relais de l’économie sociale et solidaire, facilitent les synergies intersectorielles (culture, agriculture, social) et accompagnent la structuration des réseaux régionaux, comme en Centre-Val de Loire avec ALIICE.

Au national : France Tiers-Lieux

La création de l’association France tiers-lieux fait suite au rapport Denormandie sur le coworking (2018), qui a révélé une diversité de typologies d’espaces regroupés sous le terme de tiers-lieux. France Tiers-Lieux a pour mission d’accompagner ces lieux et s’appuie pour cela sur le conseil national des Tiers-Lieux qui regroupe des experts des différents types de tiers-lieux. Cet accompagnement révèle rapidement la nécessité de structuration à l’échelle régionale.

Outil de lobbying, il obtient la mobilisation de 130 millions d’euros fléché sur les tiers-lieux et les réseaux à travers les appels à projet « Fabriques de territoires« , « Manufacture de proximité » et un programme d’appui aux réseaux régionaux.

Cette dynamique autour de tiers-lieux, même si en construction, marque une évolution intéressante au niveau des politiques publiques d’État comme des collectivités territoriales : c’est la première fois que l’institution s’adapte sur la terminologie (coworking → tiers-lieux) et sur la méthode qui s’appuie sur l’existant et l’expérimentation.

Un deuxième rapport réalisé en 2021 (rapport Lévy-Waitz) a révélé que 27 % des tiers-lieux sont culturels, dont 15 % se revendiquent comme lieux intermédiaires, ouvrant la nécessité d’un groupe de travail sur les articulations avec les tiers-lieux et leur contribution à la coconstruction de politiques publiques adaptés aux spécificités de ces dynamiques.

Quatre autres pistes de travail sont identifiées pour associer les LII :

  • la campagne de co-investissement sur les communs des tiers-lieux que France Tiers-lieux va lancer en 2022,
  • les travaux sur l’ingénierie juridique et la levée des blocages via des « campus juridiques » et des juristes embarqués,
  • les travaux autour des problématiques foncières des tiers-lieux (un séminaire autour des foncières tiers-lieux se tiendra le 18 novembre 2021, co-organisé avec Juliette Bompoint de La Main Foncièrement Culturelle),
  • le développement des réseaux régionaux de tiers-lieux dans lesquels les LII ont une place essentielle à tenir
Coordinations Régionales des LII et réseaux régionaux des tiers-lieux

France Tiers-Lieux n’est pas prescripteur, chaque région fonctionne donc sur un principe d’auto-détermination et les structurations des réseaux peuvent-être portées par des lieux ou par des collectivités…

En Bretagne, l’association Bretagne tiers-lieux prend la forme d’une association constituée des différents réseaux de tiers-lieux, à l’image de CNTL. Elle s’est donnée comme mission d’être un espace de ressources, de documentation, de formation et de valorisation des membres du réseau sans gommer les spécificités de chacun. Les actions sont menées en concertation avec les différents réseaux. Hybrides prend ainsi part aux actions de formation et de visites apprenantes. En IDF, le réseau Actes-If participe à la rédaction de la feuille de route.

Difficultés et questionnements

Si ces dynamiques sont intéressantes par endroit, elles viennent cependant se surajouter à des structurations déjà existantes, les CRLII, la CNLII, l’UFISC… De plus, à l’instar de la structuration des réseaux régionaux de LII, le manque de moyens humains rend l’investissement trop coûteux pour des bénévoles ou des salariés déjà surchargé·es.

Se pose également la question de la reproduction du « millefeuilles administratif » à l’échelle des acteur·ices qui complexifie aussi le lien entre les acteur·ices et les collectivités et alimente un risque de structuration en silos. Ainsi, au ministère, la nouvelle délégation DGTTDC prévoit trois postes : tiers lieux artistiques, tiers-lieux territoriaux et tiers-lieux industrie culturelle…

De nouveau apparaît l’importance de reconnaître les dynamiques existantes plutôt que d’en créer, au risque que la structuration des tiers-lieux rate l’enjeu des lieux intermédiaires et indépendants. Ainsi il semble important que les acteur·ices tiennent leur propre agenda pour maintenir une dynamique de coconstruction équilibrée.

2. Coconstruire avec la puissance publique

Coconstruction avec les collectivités territoriales

La coopération entre l’État, les régions et les élus locaux devient une modalité centrale pour réinterroger les politiques publiques. Les régions, via des dispositifs comme les conventions de projets artistiques et culturels de territoire, soutiennent les collectivités dans le développement de politiques culturelles ancrées localement. Ces dispositifs présentent les synergies entre lieux associatifs, structures institutionnelles et habitants, en valorisant la présence artistique et les dynamiques participatives.

Par exemple, la région Centre-Val de Loire a intégré les lieux intermédiaires dans ses politiques d’aide à l’emploi et de développement territorial, tandis que la région Bretagne adopte une approche territorialisée, avec des conseillers culturels non sectoriels. Ces collaborations permettent de dépasser les approches sectorielles et de coconstruire des projets adaptés aux réalités locales.

Coconstruction avec l’État et les DRAC

Les DRAC adaptent les politiques nationales aux dynamiques régionales, intégrant la question des friches et des lieux intermédiaires dans leurs échanges avec les élus. Le dispositif « Ateliers de Fabrique Artistique », créé en 2016, soutient ces lieux avec des budgets significatifs (jusqu’à 40 000 euros en Centre-Val de Loire). Ce dispositif, unique en son genre, articule les services de la création et du territoire, valorisant l’ancrage local et le travail avec les habitants.

Cependant, l’absence d’un cadre national clair limite son impact. Des travaux antérieurs, comme le rapport Lextrait (2001) ou la grille d’évaluation de la CNLII, offrent des bases pour structurer ces dispositifs. Depuis 2021, le ministère a demandé à la DRAC de porter une attention accrue aux niveaux-lieux, avec des moyens supplémentaires prévus dans le plan de relance. Cette reconnaissance, bien que tardive, témoigne d’une prise de conscience des dynamiques territoriales, même si les conventions avec les collectivités restent en retard.

Perspectives et recommandations pour une reconnaissance et un soutien renforcé

Reconnaître les dynamiques existantes

Pour éviter la création de nouvelles structures ou de silos, les institutions doivent s’appuyer sur les réseaux existants (CNLII, France Tiers-Lieux, CRESS) et les dynamiques de terrain. La recherche-action du réseau Hybrides, qui positionne les lieux comme acteurs de leur propre analyse, et le cadre expérimental d’ALIICE, qui ajuste ses priorités en fonction des besoins, sont des modèles à généraliser.

Mettre en travail les communs et les droits culturels

Les lieux intermédiaires incarnent une vision des communs culturels, où la création et la participation sont accessibles à tous. Les politiques publiques doivent intégrer cette approche, en s’appuyant sur les principes des droits culturels pour promouvoir des dynamiques inclusives et durables.

Pérenniser les financements et les emplois

La pérennisation des emplois est une priorité pour permettre aux lieux de diversifier leurs financements et de renforcer leurs compétences. Des dispositifs comme le CAP Asso ou les conventions PACT doivent être élargis, et un cadre national spécifique aux lieux intermédiaires, s’inspirant des Ateliers de Fabrique, devrait être élaboré.

Renforcer la coconstruction

Les acteurs doivent maintenir leur propre agenda pour garantir une coconstruction équilibrée. Les réseaux régionaux et nationaux, en lien avec les CRESS et les DRAC, peuvent jouer un rôle de facilitateurs, en mutualisant les outils et en plaidant pour des politiques adaptées. Le groupe de travail « Agir par les communs » offre un espace de dialogue prometteur pour structurer ces collaborations.

Les lieux intermédiaires et tiers-lieux culturels redessinent la géographie culturelle française, en plaçant la coopération, la diversité et les communs au cœur de leurs pratiques. Leur reconnaissance par les politiques publiques nécessite une coconstruction ancrée dans les réalités de terrain, s’appuyant sur les réseaux existants et les outils collaboratifs. Malgré les défis, notamment la pérennisation des emplois et la complexité des structurations, ces lieux offrent une opportunité unique de réinterroger les rapports entre institutions et société civile, pour une culture plus participative et solidaire.

Ressources

Ressources audio issues du POP MIND 2019

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L'édition 2021

Cultures, communs et solidarités : un nouvel imaginaire pour ranimer nos sociétés !

Organisé par l’UFISC et ses membres, en lien avec la Fraca-Ma (Fédération & Pôle régional musiques actuelles Centre-Val de Loire) et le 108, lieu collectif d’expérimentation artistique et culturel, POP MIND 2021 a rassemblé plus de 300 participant·es à Orléans.

Issu d’un processus de coconstruction collective et appuyé sur des partenariats locaux, POP MIND 2021 a témoigné de la capacité d’implication d’une multiplicité d’acteurs et d’actrices autour d’un fil rouge fédérateur « Cultures, communs et solidarités : un nouvel imaginaire pour ranimer nos sociétés ».

POP MIND 2021, c’est :

  • plus de 300 participant·es 
  • 85 intervenant·es issu·es du champ des arts et de la culture, de la recherche, des dynamiques d’économie solidaire, de la coopération internationale…
  • 25 temps forts, conférences, tables rondes, ateliers…
  • 8 organisations locales impliquées dans la coconstruction de l’événement (réseaux, structures, collectifs)
  • 35 organisations nationales et 9 organisations européennes