Prendre soin : comment lutter contre les apports de domination dans nos collectifs ?

Les droits culturels propose une ligne éthique pour reconsidérer nos relations entre humains et nos rapports au vivant. Cette ligne peut se lire comme une injonction à la dignité, et plus encore aux dignités réciproques. Nommée à plusieurs reprises dans la Déclaration de Fribourg, la dignité est une notion majeure qui n’est pas si simple à saisir, tout comme son corollaire : la vulnérabilité.
Cet atelier avait pour objectif de « déplier ces notions » à travers l’examen concret d’expériences de vie et de situations pratiques émanant des participant·es : acteur·ices du social, de la culture, de la santé, de la solidarité…
Animation
Intervenants
  • Jean-Pierre CHRÉTIEN-GONI, Metteur en scène, Anthropologue, Directeur de Le Vent se lève ! Zone libre d’art et de culture éthique et solidaire
  • Mickaël ROY, Chargé de mission à TÔT OU T’ART

Compte-rendu de l’atelier proposé par la Férue, Fédération des arts de la rue en IDF

Objectif de l’atelier

Déplier les notions de « dignité » (un mot qui apparaît à plusieurs reprises dans la Dé- claration de Fribourg (2007) posant le cadre juridique et éthique des droits culturels) et de « vulnérabilité » à travers l’examen concret d’expériences de vie et de situations pratiques émanant des participant·es : acteur·ices du social, de la culture, de la santé, de la solidarité…

Après un temps de mise en relation informelle de tous·tes les participant·es, les deux invités font le partage d’une expérience mettant en œuvre les droits culturels.

Intervention de Mickaël Roy

Mickaël Roy fait le partage d’une expérience avec la communauté Emmaüs Scherwiller en Alsace. Après plusieurs rencontres et un long temps passé avec les membres de la com- munauté Emmaüs, Mickaël Roy prend acte de la demande faite par la communauté d’organiser une manifestation afin que ses membres soient mieux compris et identifiés par les habitant·es proches de la région du centre Emmaüs. Le signal envoyé par les membres de la communauté est : la demande de reconnaissance. Il leur propose alors la rencontre avec une artiste, afin de créer une manifestation à teneur artistique dans 2 objectifs : éviter les OQTF (Obligation de quitter le territoire français) de certain·es membres et passer par un message festif pour accéder à cette demande de reconnaissance et de dignité. Il explique l’importance du temps long passé par l’artiste au sein de la communauté avant de mettre en place un cahier des charges. Un long temps d’infusion de 6 mois avec des temps formels et informels a d’abord lieu. La figure de l’artiste ici fabrique de la relation. Puis un planning et une contractualisation sont mis en place. À l’issue du projet, les membres de la communauté Emmaüs se considèrent reconnus dans leurs identités indi- viduelles et collectives (ITW individuelle + création de la manifestation collective et ren- contre avec un public). La réciprocité a eu lieu avec des apports mutuels sans crainte de perdre quoi que ce soit d’un côté comme de l’autre. En conclusion, Mickaël Roy nomme les limites d’un tel projet : Si l’instant du projet (même d’une longue durée de deux ans) a été un succès, que se passe-t-il après pour ces personnes en situation de grande précarité ?

Intervention de Jean-Pierre Chrétien-Goni

Jean-Pierre Chrétien-Goni fait une introduction sur les notions en question pour cet atelier : dignité et vulnérabilité. Il explique que pour lui les droits culturels sont un garde- fou pour lutter contre la toute-puissance, lutter contre les dominations, refuser d’être nous-mêmes des armes de cette toute-puissance. Dès lors, comment nommer les pré- tendu·es « empêché·es », « éloigné·es » ? … Le mot « vulnérabilité » est intéressant pour cela, pourquoi ne pas les nommer « vulnérables » à condition que l’on s’y inclut. Que l’on se considère « vulnérables » nous aussi. Or, selon lui, le mot « vulnérabilité » va de pair avec le mot « souffrance ».

Suite à cette introduction, il donne plusieurs exemples de projets et d’expériences vécues dont il retire différentes pensées :

  • Lors de ces projets, ce qui a lieu est une sorte de présent, là où on est ensemble. Dans la relation à l’instant il se produit quelque chose.
  • Mais, selon lui, il ne peut y avoir de « projet » à proprement parlé lorsque tu travailles avec des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer ou des autistes ou des migrants
    … Dans ces endroits où les artistes ne sont ni espérés, ni attendus, parfois, il ne se passe rien (au sens de la création, de la fabrication d’une œuvre). Il dit : « Mettre en valeur la parole de l’autre, oui, ça on sait faire, mais la personne concernée, elle en pense quoi ? Est-ce qu’elle s’y reconnaît ? ». Donc parfois, il s’agit juste d’entrer dans un lieu en veillant à la dignité des personnes que l’on va rencontrer.
  • Travailler à faire humanité ensemble. Arriver en ne sachant pas. Tâcher de faire grandir la relation humaine dans la dignité et le respect de chacun.e. Faire attention à la question du consentement, de l’engagement réciproque. Alors, surgira forcément l’inattendu. Y être attentif·ves. Comment créer les conditions pour que la rencontre « inouïe » ait réellement lieu ?
  • Comment rendre compte de telles expériences ? Lui il écrit des journaux de bord. Il fait des récits de ces expériences et conclut que : « Finalement c’est sans doute la seule chose que l’on puisse faire, c’est faire récit ».

Durant cet exposé, Jean-Pierre Chrétien-Goni porte des jugements de valeurs, malgré lui, sur ces publics qu’il a nommé « vulnérables ». Il ne fait pas l’exercice d’éprouver sa propre vulnérabilité et ses propres humilités et pudeur par rapport aux différentes personnes qu’il a rencontré lors de ses projets. Notamment en nous parlant des travailleurs migrants rencontrés au foyer d’Aubervilliers dont il nous montre la vidéo d’un homme filmé, en portrait durant de longues minutes, apparemment sans son consentement ou bien lorsque pour parler du mot « dignité » il se questionne avec nous sur la « dignité » qu’un homme, violeur de sa propre fille, a perdu, lorsque celle-ci lui a signifié son rejet. Cet homme s’est suicidé en laissant une lettre à sa fille lui expliquant qu’il ne pouvait plus vivre sans son amour ! Jean-Pierre Chrétien-Goni nous questionne sur la dignité de cet homme-là. Le prisme qu’il choisi crée un froid dans l’assistance. Cela lui sera reproché durant les échanges qui suivront. Si bien que l’exercice de définition collective de la « dignité » n’aura pas vraiment lieu, car l’assistance est un peu perdue. L’échange aura plutôt lieu sur les postures de dominations à éviter au cours de tels projets et pour quelles raisons choisir de les mener ou non.

Questionnement personnel : Où sont les personnes participant·es à ces projets ? Si Mic- kaël Roy nous fait entendre les interviews de certaines personnes membres de la com- munauté Emmaüs où le projet présenté a été mené, afin de faire entendre leurs voix à ce sujet sans parler à leurs places, Jean-Pierre Chrétien-Goni ne nous transmet finalement que son propre point de vue.

► Retrouvez tous les compte-rendus POP MIND réalisés par la Férue dans ce document.

Ressources – explorer le référentiel des droits culturels

Les droits culturels, c’est quoi ? Diaporama proposé par l’OPC.
Les droits culturels dans la Déclaration de FribourgCarnet de traduction réalisé par Réseau culture 21.
Démocratisation, démocratie et droits culturelsRapport d’étude de Réjane Sourisseau et Cécile Offroy. Réalisation Opale pour la Fondation Carasso, 2019.
Padlet de l’UFISC sur les droits culturelsTextes de référence et ressources thématiques.
Typologies. Les droits culturels en action.10 typologies d’action pour mettre en effectivité les droits culturels, issues des travaux réalisés dans le cadre de la démarche Paideia menée par l’association Réseau culture 21 et l’Observatoire de la diversité et des droits culturels.
« Cartographie des droits culturels : nature, enjeux et défis »Page ressources du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
Convention de Faro sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (2005)Droits culturels et patrimoine.
ESS et Droits culturels. Pour une économie attentive aux relatives d’humnité dans un monde vivant. Synthèse des travaux réalisés par le groupe de travail ESS & Droits culturels du Laboratoire de transition vers les droits culturels.

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